Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Conseils de Guerre
et la Justice militaire


Prisons et pénitenciers militaires ; ateliers de travaux publics.

Les troupiers ont accoutumé de désigner les conseils de guerre par le mot tourniquet, et passer au tourniquet signifie être traduit devant un de ces tribunaux d’exception. Les chefs, de leur côté, ne dédaignent pas le pittoresque de ce langage, et il leur est quotidien de dire : Prenez garde que je ne vous fasse passer au tourniquet ! » : ou « Prenez garde que je ne vous envoie à la distribution des bons de tabac ! » Instinctivement ils assimilent à tel tourniquet de quelque foraine loterie le mode d’opérer des conseils de guerre, et constatent quelle similitude existe entre la distribution trois fois mensuelle des bons de scaferlati spécial aux troupes et l’active aisance avec laquelle les membres de ces tribunaux dispensent les années de prison ou de travaux publics — voire pis… Ce qui apparaît d’abord, à un examen, même superficiel, de la pénalité militaire, c’est la disproportion considérable de la peine au délit. M. Marcel Sembat faisait remarquer à la Chambre, dans son discours du 28 février dernier, la facilité avec laquelle un jeune homme, appelé sous les drapeaux au nom de la défense du pays, peut se trouver, pour d’insignifiantes fautes, sous le coup de condamnations qui compromettront tout son avenir, briseront sa vie, et pourront même le mener à la peine suprême ; le même député signalait encore la mentalité spéciale aux tribunaux militaires, une indulgence extrême dans certains cas, une impitoyable sévérité dans d’autres.

On connaît la composition ordinaire des conseils de guerre en temps de paix : un colonel ou un lieutenant-colonel, président, et six juges, — savoir : un chef de bataillon ou d’escadron, deux capitaines, un lieutenant, un sous-lieutenant et un sous-officier. Un conseil de guerre permanent est établi au chef-lieu de chaque corps d’armée[1], ainsi qu’un conseil de révision composé de quatre officiers supérieurs assistés d’un

  1. Il y a exception pour le corps d’armée d’Algérie et Tunisie, qui comprend quatre conseils de guerre et de révision : un au chef-lieu de chacun des trois départements algériens, et un au chef-lieu de la division d’occupation de la Tunisie. Le gouvernement militaire de Paris, indépendant de toute division territoriale de corps d’armée, est également le siège d’un conseil de guerre permanent. Si les besoins du service l’exigent, un deuxième conseil de guerre peut être établi occasionnellement dans les divisions territoriales, par un décret ministériel.