Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/332

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juste, » conclut le colonel-président. Et Donseau[1] se voit condamner à dix années de travaux publics.

Un autre :

C’est au pénitencier indigène de Tadmit, dans le Djebel-Amour. Une cinquantaine de disciplinaires de la 4e compagnie de discipline sont employés là, sous la direction du sergent Coulomb et du caporal Perrin, à la conduite des chantiers qui nécessitent des connaissances spéciales et ne peuvent être confiés aux détenus indigènes. Un jour, le sergent Coulomb, qui veut faire river des chaînes aux pieds d’un indigène, appelle un des disciplinaires pour accomplir cet office. Mais le disciplinaire s’y refuse, malgré les injonctions du sergent qui appelle un second disciplinaire, nommé Escourroux, afin que celui-ci puisse témoigner du refus du premier. Escourroux refuse à son tour de servir de témoin contre un camarade ; deux autres disciplinaires, complaisants cette fois, consentent à constater ce refus d’obéissance, et Escourroux est traduit devant le conseil de guerre d’Alger. Au colonel-président qui lui demande le motif de son refus d’obéissance, il fait cette simple réponse « Mon colonel, celui qui trahit un camarade peut aussi bien trahir son pays ! » Escourroux fut condamné à un an de prison.

Un autre :

C’est encore à Laghouat, peu de temps après l’arrivée des jeunes soldats du bataillon d’Afrique à la caserne Bessières. Exténués par le surmenage et par le défaut de nourriture — tant est maigre la ration de l’ordinaire — , c’est de la faim, surtout, que souffrent les jeunes « joyeux » ; et leur seul désir, leur seule ambition du moment, est de se procurer du pain en quantité suffisante pour satisfaire leurs appétits de vingt ans. Beaucoup d’entre eux, même, n’hésitent pas à se livrer le soir, dans les rues de Laghouat où déambulent les indigènes, à une prostitution éhontée en échange de biscuits ou de morceaux de pain ; et le capitaine de la 6e compagnie du 2e bataillon d’Afrique se voit obligé pour refréner cette prostitution, de faire paraître au rapport lu devant toute sa compagnie l’ordre dont voici le texte (janvier 1894) : « Le capitaine a su à quel genre de prostitution se livraient chaque soir, vis-à-vis des indigènes, certains jeunes soldats de sa compagnie ; décidé de mettre un terme à ces agissements, il supprime jusqu’à nouvel ordre le rata du jeudi et du dimanche soir il ne le rétablira que le jour où il sera manifeste qu’il n’y a plus de femmes (sic) dans la compagnie. » Bref, une nuit, pour calmer sa faim, un jeune joyeux quitte sa chambre, descend aux cuisines, pénètre dans le cabanon où le caporal d’ordinaire tient en réserve les vivres de la compagnie, prend deux pains de munition — je dis deux pains, pas autre chose, — remonte à sa chambre, en donne un à son camarade de lit, et dévore l’autre sous sa couverture. Le lendemain, une délation apprend

  1. Donseau fut envoyé à l’atelier de Cherchell, qui a été désaffecté depuis et dont les condamnés furent répartis entre les autres établissements similaires. J’ignore en quel atelier de travaux publics se trouve Donseau à l’heure actuelle.