Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/529

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dèrent pas seulement son langage comme un moyen d’expression, mais, plutôt, comme une chose intéressante en soi dont il faut faire une étude à part, durant des années, en des moments de la semaine fixés par l’horaire de l’école. Les formes verbales et les règles nombreuses qu’ils croient devoir lui faire connaître, ils les lui enseignent « à l’écart », pour ainsi dire, et à la file. Il les appliquera peut-être un jour.

Donc, nous apprendre à bien parler, ce n’est pas nous faire corriger les mots que nous employons spontanément lorsque nous voulons dire le phénomène qui nous a frappés ou bien nous soulager d’une question obsédante ; c’est nous enseigner des expressions toutes faites que l’École garantit conformes à l’usage. Or comme on nous apprend très tôt la langue de nos aînés, nous avons une forte tendance à adopter, avant tout examen, les mêmes catégories qu’eux et à exprimer les mêmes opinions. Tel mot qu’on nous conseille équivaut à un jugement qu’on nous suggère et, cela, sans que rien nous mette en garde contre cette propagande discrète. En nous transmettant telles locutions anciennes on enracine en nous de vieux respects, dont quelques-uns nous fussent demeurés étrangers si l’on s’était simplement appliqué à nous faire connaître les choses et les gens de notre époque.

On pourrait dénaturer assez drôlement ce dernier passage. Je sais fort bien qu’une génération, inévitablement, parle à peu près comme celle qui l’a précédée ; à très peu de chose près, si l’on veut. Mais je prétends que si l’on ne se hâtait pas de donner une forme définitive à la pensée de l’écolier, si, dès les premiers jours, on ne lui présentait pas, en bloc, un vocabulaire tout fait, si on ne lui suggérait pas des comparaisons classiques et des classifications très contestables, si on ne lui proposait pas les fatidiques « sujets de compositions » qui ennuyèrent déjà nos grands-pères, je prétends qu’alors le langage de l’enfant traduirait avec plus de fidélité ce qu’il a réellement senti. — Il y a des maîtres de composition qui, après avoir proposé comme sujet à leurs élèves « un coucher de soleil », ajoutent : « Ne faites pas de phrases : dites simplement ce que vous avez vu ». — Mais l’enfant ne tient pas compte de ce bon conseil : il se méfie. Ce qu’il a vu se résumerait en trois lignes ; or il se dit qu’une telle concision lui vaudrait une très mauvaise note. Peut-être même y verrait-on une intention irrévérencieuse. Donc, prudemment, le bon élève se rappelle tant bien que mal des phrases lues par-ci par-là et, avec effort, il délaie son coucher de soleil en trois ou quatre pages.

Afin qu’ils retiennent la règle concernant la conjonction ni,