Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/536

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En effet, si des écoliers de neuf ou dis ans ne peuvent pas consacrer chaque jour deux ou trois heures à des jeux, à des exercices physiques, ou à des travaux manuels, c’est que, dira-t-on, la tâche du maître est longue et le temps est court. Si, à l’École, l’enfant doit presque sans cesse, et cela durant des années, rester assis et inactif avec le devoir constant d’écouter, c’est que l’on s’imagine qu’avant toutes choses il faut fixer dans sa mémoire un très grand nombre de vérités. C’est pour la même raison que l’on fait abstraction de ses goûts et de ses aptitudes : tout le monde doit savoir que saint Louis rendait la justice sous un chêne, que Pékin est en Chine et que le mot attraper s’écrit avec un seul p. La même raison expliquerait aussi que les écoliers dès leur huitième année s’instruisent dans une salle monotone sous la direction d’un spécialiste muni de l’érudition réglementaire, plutôt que de vagabonder d’abord longtemps parmi les êtres et les choses en compagnie d’un enthousiaste qui n’aurait d’autre désir que de leur faire aimer l’activité et la vie. Et c’est encore parce que la dose de science fixée par les programmes est jugée indispensable pour tout homme d’aujourd’hui, c’est parce que cette dose est obligatoire, que les maîtres doivent consacrer presque autant de temps à interroger leurs élèves dans le seul but de savoir quelles notes ceux-ci méritent qu’à augmenter effectivement leur savoir, qu’à fortifier leur intelligence. Enfin c’est parce qu’à l’École on est pressé que l’enfant passe d’ordinaire d’un sujet à un autre avant d’avoir acquis, sur le premier, des idées nettes, avant qu’il ait pu soupçonner la beauté qu’il y a dans les choses dont on l’entretient et sans jamais comprendre la signification générale que donne à tout fait d’histoire ou de science la destinée de l’homme Sur la terre. Savoir ! Pour la plupart des gens, redisons-le, ce mot signifie tout simplement : savoir répéter.

Eh bien, parmi les innombrables vérités qu’on enseigne à l’enfant il n’en est presque aucune qui puisse, par ce seul fait qu’il l’aura retenue et qu’il saura, cas échéant, l’énoncer à son tour, acquérir pour lui une valeur réelle. Les écoliers apprennent à lire, à écrire et à effectuer quelques calculs simples, ce qui est bon, sans doute, à tous égards. Mais en outre leurs maîtres consacrent des milliers d’heures à les munir d’une érudition absolument vaine. Elle est vaine parce qu’elle est superficielle ; c’est un mince vernis que le temps effacera bientôt.

Que l’École consente à ne plus instruire ses élèves jusqu’à l’écœurement ; qu’elle mette au rancart son stock formidable d’empereurs, de capitales, d’échinodermes, de guerriers illustres,