Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/632

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« Mais que voulez-vous ? disait-il, je ne puis pas faire autrement. Le jour où je payerais davantage, je n’aurais plus qu’à fermer boutique. La concurrence m’étranglerait ». C’est le mot propre. La concurrence étrangle l’ouvrière, et non seulement la concurrence entre patrons, mais celle que se font les ouvrières entre elles. J’insiste là-dessus : comme il n’est pas de limites à la misère, on trouve toujours une malheureuse qui travaillera à plus bas prix qu’une moins malheureuse qu’elle-même, et l’on ne saurait, par conséquent, fixer un minimum pour le salaire, avant d’avoir au préalable, imposé une borne au besoin. Du reste, ce minimum, qui le fixerait ? L’État ? Alors, sans doute, cette étrangleuse, la concurrence, serait étranglée à son tour, mais le commerce et le travail même seraient pris dans le même lacet » [1].

Ainsi la concurrence étrangle l’ouvrière ; mais, sans concurrence pas de commerce et pas de travail. Le commerce et le travail exigent donc que l’ouvrière soit étranglée.

Désorganisation de la famille. — Nous avons montré par des faits irrécusables que la main-d’œuvre féminine se substitue de plus en plus à la main-d’œuvre masculine. Le perfectionnement de l’outillage et son extension à la plupart des branches de la production ont permis au fabricant d’utiliser la femme et l’enfant dans une proportion beaucoup plus grande que par le passé. Ce phénomène s’accentue sous l’empire de la concurrence industrielle qui oblige le patron ou la société anonyme à réduire, par tous les moyens, ses frais de production. Par exemple, la crise de l’industrie textile en France est causée par la concurrence des produits américains dont l’outillage plus parfait donne un rendement supérieur au nôtre. Lorsque la jeune fille française pourra faire ce que fait déjà la jeune fille américaine, c’est-à-dire conduire seule seize métiers, le producteur français pourra peut-être lutter à armes égales. Sans doute cette jeune fille sera usée complètement en quelques années, comme celle des États-Unis ; sans doute le personnel féminin sera de plus en plus préféré, et la femme continuera de déserter le foyer, mais le capital ne s’inquiète guère de ces choses. Ce qu’il exige à présent, plus que jamais, c’est du travail de femme et du travail d’enfant, de la main-d’œuvre à bon marché. Voilà pourquoi la désorganisation de la famille ouvrière est un fait social normal du régime capitaliste, et que ce fait évident, constaté, prouvé, se réalise de plus en plus.

« Le nombre croissant des manufactures n’est pas la seule cause de la destruction de la vie de famille ; il en est la principale.

Les manufactures contribuent de deux façons à produire ce triste résultat : en employant la plupart des femmes dans des ateliers où elles sont retenues loin de leur ménage et de leurs enfants pendant la journée entière, et en rendant pour les autres le travail isolé absolument improductif, ce qui les pousse à chercher des ressources dans l’inconduite » Jules Simon — (L’ouvrière.) Mais le même auteur ajoute :

  1. Les ouvrières de l’aiguille à Paris, Charles Benoist.