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Page:La Revue blanche, t29, 1902.djvu/472

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humains, les conditions de la vie humaine n’étant plus réalisées sur la Terre ; la Terre elle-même deviendra un astre froid comme la lune ; puis ce sera le tour du soleil ; est-ce là le parfait rêvé ? Un univers peuplé d’astres morts ! Trouvez-vous avec Erasme que ; « le Bien, c’est le repos, le silence et la nuit » ? Words ! Words ! Affirmer la « réalité, l’objectivité de l’Idéal, du Divin », c’est commettre une erreur de même ordre que de croire à la personnalité divine. C’est partir d’un postulat analogue à celui de Bernardin de St-Pierre admirant « l’Harmonie de la nature », Harmonie qui signifie simplement que « les choses sont comme elles sont et non autrement. » Et quant à l’adaptation des êtres à leur milieu, Lamark et Darwin nous ont appris à y voir un résultat fatal des mouvements naturels. Alors, quoi ?

Renan admet qu’il faut un Dieu pour le peuple, pour les simples ; « Dites-leur (aux simples) d’aimer Dieu, de ne pas offenser Dieu, ils vous comprendront à merveille… Mais c’est une faute contre toute critique que de prétendre ériger une telle méthode en méthode scientifique. » Je ne discute pas ici la question de savoir s’il est bon de tromper les pauvres gens et de leur raconter que « Dieu place son arc dans les nues », uniquement parce que Moïse, ignorant, a méconnu le phénomène de l’arc-en-ciel ; je crois qu’il est préférable d’éduquer le peuple de manière qu’il n’ait plus besoin de croquemitaine pour être sage, mais en dehors de cette question, il est bien évident que l’on doit écarter toute concession utilitaire de la discussion scientifique ; et ayant supprimé Dieu, maintenir « le Divin », c’est perdre le terrain gagné.

Il y a cependant de l’inconnaissable, me dira-t-on ; sans doute, je suis le premier à l’affirmer, et dans cet inconnaissable, il y a tout ce qui n’agit pas sur l’homme, tout ce qui est, par suite, indifférent à l’homme. Il y a aussi dans l’inconnaissable un certain nombre de réponses à des questions que l’homme se pose à tort et que son « mode de connaissance » même lui interdit de résoudre ; tel est par exemple le problème des origines ! « Mais, me disait récemment un ami, c’est là, précisément, le Divin ! » Le mot inconnaissable vaut certes mieux, car on ne pourra empêcher d’appliquer au mot « Divin », qui étymologiquement vient de Dieu, quelques-uns des attributs que l’on prêtait autrefois à Dieu (but, puissance directrice, d’après l’abbé Hébert).

La lune nous montre toujours la même face ; nous ignorons ce qui se passe de l’autre côté de notre satellite et ce qui s’y passe nous est indifférent. Dirons-nous que le derrière de la lune est divin parce nous sommes sûrs de ne jamais le voir ?

Félix Le Dantec.