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Aux réclamations qu’elles formulent à ce sujet on répond : « C’est trop bon pour vous ».

Néanmoins à la suite des réclamations du mois de novembre dernier, les cuisiniers furent remplacés par des sœurs : toutefois cela seul ne saurait modifier la qualité des matières premières.

Les prisonnières peuvent, il est vrai, se procurer, à des prix exagérés, quelque supplément de nourriture et de boisson à la cantine ; mais souvent elles manquent d’argent et celui qu’on peut leur envoyer du dehors ne leur parvient pas toujours. Elles peuvent aussi avec la permission des sœurs, lire le Petit Journal qu’on leur passe en fraude, pour dix sous[1].

Enfin la sortie même de cette géhenne ne s’accomplit pas sans de multiples vexations ; les condamnées de plus de 4 jours repassent par le Dispensaire, les autres sortent directement. Outre les punitions encourues, comme nous l’avons dit, pour erreur dans la répétition des renseignements donnés à l’entrée, les femmes seraient également punies si elles ne prenaient toutes la direction de la Porte St-Denis ; sans doute pour que les matrones du quartier les puissent plus aisément insulter, comme les gavroches les insultèrent à l’heure de « l’embarquement » dans le panier à salade, au poste de leur arrestation.

Voilà donc la femme rejetée au trottoir un peu plus affaissée, un peu plus désemparée et qui, souvent, ne retrouvera plus la chambre d’hôtel contenant ses hardes, incapable qu’elle est d’en solder le retard. Le soir même, avant peut-être, elle sera de nouveau arrêtée et regravira le calvaire ; il arrive aux femmes poursuivies par la haine des agents d’être un mois entier « sans coucher dans leur lit », grâce à une suite de condamnations de quatre jours.

La femme descend alors la spirale du désespoir, cherche de vaines consolations dans l’alcoolisme et souvent — but suprême de la police — ne voit plus qu’un refuge, un tombeau, la maison de tolérance, repaire de l’alcoolisme obligatoire, de brutalités odieuses, et foyer le plus actif d’infection vénérienne[2], mais où du moins les agents ne la pourchasseront pas.

E. Skandha.
  1. Les sœurs de Saint-Lazare pratiquent encore un autre petit commerce.

    Chaque jour, entre 11 heures et 2 heures, alors que la « cheffesse » va faire son rapport, au directeur et lui proposer les punitions, ou pendant le déjeuner de celui-ci, certaines sœurs sortent puis rentrent chargées de provisions de bouche qu’elles revendent à leurs « femmes de bonne volonté » ou « soubrettes » et celles-ci aux condamnées.

  2. M. Champon, maire de Salins-du-Jura, qui fit fermer, malgré les menaces du parti bien pensant de la ville, la maison de tolérance, a présenté le dossier complet de cette institution à la Ligue des Droits de l’Homme à Paris.

    On y voit que le commissaire de police de Salins exigeait sa chambre particulière au lupanar, cent francs par mois de la maison et que ses grosses factures étaient payés par la dame d’icelle. Le collègue qui dut à un certain moment le remplacer lui écrivit pour connaître le casuel de la maison, exposant que la sienne ne lui valait que 40 francs par mois.