Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/164

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En 1902 on entendit parler de nouveau de la « Mano Negra » et ce fut pour apprendre que cette formidable association, dont huit affiliés, après dix-neuf ans, souffraient encore dans les bagnes espagnols, n’avait jamais existé.


I


L’Andalousie est un fort beau pays, que chantèrent les poètes et que célèbrent les voyageurs. C’est en outre une terre d’une fertilité merveilleuse, qui, bien cultivée, pourrait donner les fruits les plus variés, blé, vignes, olives, et nourrir tout un peuple. Par malheur, la petite propriété y est presque inconnue, et d’immenses domaines sont l’apanage de propriétaires qui, faute de soins, d’intelligence ou d’une première mise de fonds suffisante, en laissent en friche la plus grande partie, ne cultivent le reste qu’avec les procédés les plus routiniers et les plus sommaires, et n’accordent à la main-d’œuvre que des salaires dérisoires. Ceux-ci varient de deux à six réaux par jour, le réal valant vingt-cinq centimes. Dans les années de sécheresse, la misère des ouvriers agricoles devient extrême, car il ne faut pas oublier qu’ils sont obligés d’acheter tous leurs aliments, n’étant pas nourris par les propriétaires qui les emploient et ne possédant aucun lopin de terre individuel. Cette misère fut à peu près constante de 1878 à 1883. En 1882, la livre de pain valait deux réaux, ce qui était exactement le salaire d’une journée de travail ; les paysans déclaraient qu’ils préféraient « mourir à l’ombre, par la famine, que de mourir en travaillant, frappés d’insolation et pareillement affamés ». Il n’est pas étonnant que ces paysans aient cherché tous les moyens possible d’améliorer leur sort ou plutôt de sauver leur existence et celle de leurs enfants. « De 1870 à 1873, écrit l’un d’eux, Cristobal Duran Gil, au début de la révolution qui se produisit alors, le paysan de Xérès comme celui de beaucoup d’autres régions croyait voir réaliser son bel idéal avec l’établissement de la République… Ainsi nous nous dépensions sans trêve ni repos en manifestations, en élections, y consacrant notre chétif pécule : ce n’était que temps et argent perdus. » Ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que la république éphémère ne fit pour eux rien de plus que les gouvernements précédents, et que ceux qui suivirent ne firent pas davantage que la république. Ces Andalous ne manquent ni de sagesse ni d’énergie, ils comprirent que députés républicains ne se souciaient d’eux ni plus ni moins que députés monarchistes, et, logiques, ils renoncèrent aux comédies élec-