Page:La Revue blanche, t5, 1893.djvu/288

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laisser faire sans comprendre, et, pour ne pas vivre au hasard, pour s’y refuser, réfléchir à mesure qu’on agit. S’il faut renoncer à parfaire d’abord des théories assez harmonieuses, nous tâcherons du moins de prendre le plus profondément conscience des forces qui nous entraînent.

Mais, comme, aussitôt que nous cédons à la vie qui nous sollicite, nous nous apercevons que la mort nous menace, c’est elle aussi qui s’offre d’abord impérieusement, et, sans répit, à nos méditations. C’est bien là le premier sujet qui s’impose, tout le reste est douteux auprès, tout le reste peut attendre. Au lieu que, pour avoir agi quelque temps sans pensée, nous n’aurons fait que nous diminuer d’autant, nous ne saurions en réalité, s’il nous répugne de nous laisser enlever sans plus de conscience que les feuilles, tarder d’un moment à considérer la mort, car rien ne nous peut assurer qu’il nous reste encore le temps seulement d’apaiser l’effroi qu’elle inspire.

Et, non seulement, nous sommes certains de mourir, plus certains de mourir que de quoi que ce soit au monde, mais encore, dans le perpétuel devenir, où aucun instant n’est un arrêt, où notre vie n’est qu’un souvenir qui s’accroît, où tout est au passé, la mort paraît bien l’unique présent. En rappelant, depuis les plus lointaines impatiences enfantines, tous les termes attendus, atteints, écoulés, diminuant dans le passé, toujours plus vite atteints, tous les termes présents, nous nous sentirons déja au terme suprême, et nous nous écrierons que nous mourons présentement.

Mais, en dépit même des avertissements plus fréquents et plus familiers, des maladies, des séparations, malgré qu’adolescent on se sente déjà vieillir à goûter moins un plaisir accoutumé ou à regarder plus froidement les misères, malgré que partout s’épaississe autour de nous l’ombre que la mort projette sur la vie, l’on frissonne et l’on oublie et l’on prend à des enterrements des rendez-vous, ou, pendant toute une céré-