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Page:La Revue blanche, t6, 1894.djvu/335

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qu’ils entrèrent en relations avec les autres peuples. Du reste, la situation géographique de la Palestine ne permettait pas à ses habitants de se livrer à un trafic très étendu et très considérable. Cependant, pendant la première captivité, et au contact des Babyloniens, une classe de commerçants se forma, et c’est à cette classe qu’appartinrent les premiers émigrants juifs, ceux qui établirent leurs colonies en Égypte, en Cyrénaïque et en Asie-Mineure.

Pour expliquer l’attitude des Juifs, il n’est donc pas nécessaire de recourir à une théorie sur le génie aryen et sur le génie sémite. Les Juifs, en tant que peuple, ne se distinguèrent en rien des autres peuples ; et s’ils furent d’abord une nation de pasteurs et d’agriculteurs, ils en arrivèrent, par une évolution toute naturelle, à constituer parmi eux d’autres classes. En s’adonnant au commerce, après leur dispersion, ils suivirent une loi générale qui est applicable à tous les colons. En effet, sauf les cas où il va défricher une terre vierge, l’émigré ne peut être qu’artisan ou négociant, car il n’y a que la nécessité ou l’appât du gain qui le puissent contraindre à quitter le sol natal. Les Juifs donc, en arrivant dans les cités occidentales, n’agirent pas autrement que les Hollandais ou les Anglais fondant leurs comptoirs. Cependant, ils en vinrent assez vite à se spécialiser dans ce commerce de l’or qu’on leur a si vivement reproché depuis, et, au quatorzième siècle, ils sont avant tout une tribu de changeurs et de prêteurs, ils sont devenus les banquiers du monde. C’est eux que l’on charge de créer les banques de prêts populaires, c’est eux qui deviennent les prête-nom des seigneurs et des bourgeois riches, et cela était fatal, étant donnée la conception particulière de l’or qu’avait l’Église et les conditions économiques qui dominèrent en Europe à partir du douzième siècle.

Le moyen âge considéra l’or et l’argent comme des signes ayant une valeur imaginaire, variant au gré du roi qui pouvait, selon sa fantaisie, ordonner le cours. Cette idée dérivait du droit romain qui refusait de traiter l’argent comme une marchandise. L’Église hérita de ces dogmes financiers, elle les combina avec les prescriptions bibliques qui défendaient le prêt à intérêt, et elle sévit, dès ses origines, contre les chrétiens et même les clercs qui suivaient l’exemple des feneratores romains lesquels, alors que l’intérêt légal était d’environ 12 pour 100, prêtaient à 24, 48 et même 60 pour 100. Les canons des conciles sont très explicites là dessus ; ils suivent la doctrine des Pères, de saint Augustin, de saint Chrysostome, de saint Jérôme ; ils interdisent le prêt et sévissent