Aller au contenu

Page:La Revue blanche, t8, 1895.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Les cellules de ces ruches sont étroites, les cloisons des taudis sont proches et les taudis sans cheminées. La vie comprimée dans les bouges déborde sur la chaussée fangeuse qu’égaie parfois un rayon de soleil, et c’est encore comme le branle-bas d’une fourmilière.

En plein air, en pleine lumière, un travail sans cesse renaissant ; et des femmes pâles lavent du linge rude et, sur des réchauds qu’attise le vent, des pommes de terre cuisent pour le repas qu’on prendra tout à l’heure, assis devant les portes sur les chaises boiteuses. Et cette population se connaît, s’interpelle, se meut, existe d’une vie spéciale, avec de caractéristiques usages, des coutumes déterminées, un esprit originel et des mœurs dont le côté brutal même évoque la primitivité d’un type.

Or, à Londres, communément, j’ai senti l’hostilité jusque dans les regards qui se posent durement comme pour défendre d’approcher : Go on !

Chaque Anglais symbolise étrangement le pays :

Ces insulaires, figurant autant de petites îles inabordables, où ne s’éveille point la sève des plantes aux tons chauds.

Et c’est monotone, et c’est neutre, et c’est gris… et j’en ai assez !

Partir !

Oh ! ce n’est pas que l’on s’illusionne à rêver d’accueil fraternel sous d’autres cieux. Le proscrit sait que tout asile est incertain ; il sait que, lui, sera tenu pour suspect à Genève comme à Bruxelles, en Espagne comme en Italie… Mais enfin, quand on est las de séjourner, il est bien vrai que pour se mettre en route point n’est besoin d’avoir un but.

Partir, et pour n’importe où…

Le voyage ! Aller, fuyant les spleens ; chaque endroit a d’abord un charme : tout est beau, une heure au moins.

La sagesse est de ne pas rester.

Passer, cueillant l’impression, goûtant les sensations neuves et la saveur des terroirs ; puis reprendre encore la route, toujours ! et sans doute vers quelque inatteignable patrie. Vagabond, pèlerin, trimardeur, en exploration, en conquête ; inassouvi comme don Juan avec un amour plus haut : la robe qu’on veut déchirer, c’est un voile à l’horizon.

La Tamise verte et profonde entraîne au fil de ses eaux tant de désirs aventureux.

Après Westminster, après la Tour, après les docks, à Blackwall elle s’élargit. Les grands navires glissent vers la mer et leurs sifflets sont des appels qu’on n’entend pas sans tressaillir…

C’est à Blackwall qu’un matin je pris le bateau pour la Hollande, sans grande préméditation. Un peu plus de shellings en poche, je me serais tout aussi bien embarqué pour voir la Suède ou regarder Calcutta.

**