mérés les membres de l’Académie. J’en connaissais un très petit nombre, et je constatai que sur quelques-uns d’entre eux Goethe lui-même, qui se tient soigneusement au courant des lettres françaises, ne put me fournir que des renseignements approximatifs. Goethe, qui était d’excellente humeur, fit à leur sujet des jeux de mots et des plaisanteries :
On m’a conté, dit-il, qu’il n’y avait pas en France de corps plus bafoué que l’Académie. Certaines plaisanteries sont devenues anciennes et classiques. On en fait des couplets aux revues de fin d’année. Mais je suis convaincu que son influence est restée considérable, et les brocarts même dont on la couvre en sont la preuve. Les Français, comme vous savez, ne raillent que ce qu’ils craignent ou ce qu’ils envient. Tout le monde rit en parlant de l’Académie, comme de la Chambre, par exemple, et tout le monde désire en faire partie ; même on est prêt à toutes les bassesses pour cela. Il n’y a pas de vanité si misérable que cette prétendue indépendance. Songez pourtant, comme on le rappelait l’autre jour, que les trois hommes d’où dérive littérairement la génération actuelle, Stendhal, Flaubert et Baudelaire, ne comptèrent pas parmi les académiciens, qu’aujourd’hui encore vous n’en avez pas trouvé dix dont les noms vous soient, je ne dirai pas familiers, mais connus. Mais toutes les institutions qui reposent sur la vanité humaine tirent de cela seul un caractère d’éternité. Il faut bien aussi que les âmes médiocres et intéressées puissent trouver dans la vie des buts dignes d’elles. Quand on est incapable de songer au beau et au bien et de vivre pour le perfectionnement de sa nature, il faut bien trouver des fins extérieures vers lesquelles tendra notre activité. Pour la plupart des gens de lettres, l’Académie n’est pas autre chose. Elle leur représente le grade supérieur, le dernier degré de la hiérarchie, quelque chose comme leur bâton de maréchal. Le jour où il fut élu, Claretie s’est dit sans aucun doute : Je n’ai plus rien à souhaiter en ce monde. Dimittis servum tuum, Domine. Il n’y a pas de mal à cela. C’est une ambition qui les occupe et qui assure une unité à quelques années de leur vie ; ambition méprisable, unité fausse ; mais Dieu n’a pas accordé à tous les hommes de vivre noblement.