Aller au contenu

Page:La Revue bleue, Tome 19, 1903-01-01 1903-06-30.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Une feuille énorme, grande comme ça ! — disait-il en étendant les mains, — et toute pleine d’écriture ! Des lettres noires, d’autres dorées ! Une rareté, vraiment !

Il faisait le signe de la croix devant l’image sainte, et ajoutait, d’un ton recueilli :

— Et, en bas, le sceau de l’archiprêtre. Un sceau énorme, mon petit père ! Ah ! si vous pouviez voir ça !

Et il riait de tout son cœur, cachant ses yeux brillants dans le réseau de ses petites rides. Mais, tout à coup, un nuage gris recouvrait le soleil, la chambre s’assombrissait de nouveau, et le père diacre, avec un soupir, se recouchait sur son oreiller.


LES SECRETS CORPORATIFS

DES ANCIENNES MAITRISES

UNE ESTHÉTIQUE PRATIQUE (1)

Un ministre disait récemment dans une circonstance officielle, ces curieuses paroles : « Sous la troisième République, l’art et l’industrie se sont réconciliés. » Comment se nomme le trope, hyperbolique et nouveau, qui donne le désir pour la réalité ? Ce désir est sincère. L’État y tend de toutes ses forces. A peine l’exposition du meuble fermée, le Conservatoire des Arts et Métiers s’entr’ouvre pour montrer ses produits. Il y a un musée, une école nationale, quatre écoles municipales, pour les arts décoratifs. Les salons annuels se compliquent de véritables magasins d’ornements ; les concours se multiplient et aucune époque n’a tant souhaité et mérité, par conséquent, des ouvriers d’art. Ce souhait, quoique fils de la politique, exprime un besoin de beauté. « L’art pour le peuple, à défaut de l’art par le peuple », a-t-on dit. La cathédrale réalisa ce sublime et mystique mariage du beau avec la foule. Aujourd’hui le problème parait insoluble : la Révolution n’a pas déchiré seulement des titres de noblesse, elle a englouti d’autres privilèges, ceux mêmes de l’ouvrier. Les nobles sont revenus de l’émigration, les décorateurs ont été emportés par le cyclone ; et l’art industriel, arrêté brusquement dans le style Louis XVI, depuis un siècle n’a pas donn2 signe de vie. Le condottiere Buonaparte ne voyait (1) M. Péladan a traité ce sujet dans une Conférence faite à l’Université populaire du faubourg Saint-Antoine, le 6 novembre 1902.

pas la forme de son épée ; et le musée d’artillerie étale les armes hideuses des guerres impériales. Quant au mobilier d’un Compiègne, il succède dignement au genre Louis-Philippe. Le néo-romain eut pour père le peintre David qui, le crayon à la main, dans les cours delà Force,le 3 septembre 1792, disait : « Je saisis les derniers moments de la nature dans ces scélérats.» Le pastiche maladroit de Pompéi, d’une archéologie d’horloger, inaugura le xixe siècle. Comment nommer cet art nouveau, impuissant effort de perversité mercantile où la forme féminine avilie par les stigmates du vice se traîne comme une larve de décomposition, sur le produit pharmaceutique et sur le bijou, aux couleurs de l’affiche et aux galbes du meuble ? Comment qualifier cet art où se joignent la main dangereuse du voyou et la main tremblante de l’érotomane et qui semble la collaboration de l’alcoolisme prématuré et de la débauche sénile ? La petite femme, telle que Montmartre la produit, envahit jusqu’à la monnaie, jusqu’aux médailles, et personne ne s’aperçoit que la tête de la République, sur la pièce d’un sou, figure l’étourderie ; elle eût paru jadis une effrontée. « Paris, comme Athènes, est peuplé de statues », dirait M. Prudhomme ou son terrible fils Bonhomet ; tel ce curé qui répondait à une lamentation d’un fidèle : « Mon cher monsieur, mon église est toujours pleine. » En effet, chaque semaine, une chose de marbre ou de bronze, se dresse dans un square et les messes d’une heure sont suivies. L’homme sans culture, qui ignore l’histoire et l’art, peut être fier de son temps. Celui qui pense s’inquiète, en face d’une décadence si officielle, si régulière, si assise.

L’esthétique commença, en Angleterre et en Allemagne, aux confins du xvmc siècle ; elle resta métaphysique avec Lessing et Kant. Était-ce la définition du beau par Schopenhauer qui pouvait influer sur les artistes : « L’objectivation de la volonté par une pure manifestation dans l’espace ! » Non, certes ! D’autres propos plus compréhensibles furent tenus et par des écrivains fort différents : les Goncourt, des gentilshommes d’une sensibilité maladive, et M. Zola, d’une insensibilité rurale, les uns ayant les Boucher pour antiques et l’autre Manet pour Raphaël, enseignèrent aux artistes déjà débauchés par le paysage, le tableau de genre et la nature morte, qu’il fallait représenter son époque, hommes et choses ; que c’était le but de l’art, le moyen sûr de l’originalité. « Les grands maîtres n’ont pas fait autre chose ! » Pour l’homme illettré, ces perturbateurs avaient raison. Dans sa fresque de l’Antéchrist, Signorelli ; dans leurs tableaux sacrés même, Lippi et Botticelli ; à la librairie de Sienne, Pinturicchio ; et pour l’histoire de saint Georges, Pisanello, représentèrent les hommes de leur temps. Alors on ne portait ni