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Page:La Revue bleue, tome 49, 1892.djvu/79

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légitimiste et voltairien, chrétien littéraire, bonapartiste libéral, socialiste à tâtons dans la royauté.

Mais, en 1851, il rompt avec son siècle. Il n’abdique pas devant l’Empire son indépendance et ses convictions. A partir du jour où la vérité lui est apparue dans la République, il reste fidèle à cette noble cause de la République et de la vérité. Du rocher de Guernesey, où la proscription l’a jeté, il flétrit les trahisons, console les douleurs, relève les courages, sème à pleines mains les paroles de vaillante espérance. Ni un jour de repos, ni une heure de défaillance. Durant trente-cinq ans, il est sur la brèche, et la mort le prendra debout, tout entier à son œuvre, à son pays et à la République !

Est-il, je le dis tout de suite, parmi les professionnels de la politique, beaucoup de vies supérieures à celle du poète par la fermeté inflexible dans le devoir ?

Je ne saurais retracer ici la biographie complète de Victor Hugo. Je désire seulement, pour marquer l’évolution de ses idées, mettre en lumière certains traits caractéristiques de sa carrière. Une unité se poursuit, qu’il faut savoir saisir, à travers les « variations de cette conscience honnête ». J’entends dire : que l’attitude de Victor Hugo ne fut jamais déterminée par un intérêt personnel ; — qu’il fut toujours compatissant aux faibles et aux déshérités de la fortune ; — que dans tout ce qu’il a écrit, même dans ses livres d’enfant et d’adolescent, on ne pourrait trouver une ligne contre la liberté ; — qu’il prit une belle devise : Être de tous les partis par le côté généreux, n’être d’aucun par le côté mauvais, et qu’à cette devise il sut rester fidèle…

Il n’est pas besoin d’insister, sous forme de thèse générale, sur l’influence que l’éducation première et l’opinion des parents exercent sur l’âme des enfants.

Le père de Victor Hugo, Joseph Léopold Sigisbert, qui s’était engagé, en 1788, à l’âge de quatorze ans, comme cadet, était un vaillant soldat et un ferme républicain. A la suite des guerres de Vendée, où sa modération après la lutte le distingua autant que son courage dans la bataille, il épousa la fille d’un armateur de Nantes. La jeune femme, très sceptique dans les questions religieuses, était passionnément royaliste.

De ces dent influences contradictoires, Victor Hugo subit exclusivement celle de sa mère, auprès de laquelle il resta toute sa jeunesse, tandis que les hasards de la guerre ou les dissentiments domestiques tenaient son père éloigné du foyer.

Les faits ont ici leur signification caractéristique.

Victor Hugo naquit, en 1802, à Besançon, où son père, nommé colonel, tenait garnison. Après un premier voyage en Corse, où le jeune enfant fut emporté n’ayant encore que six semaines, la famille rentra et resta deux ans à Paris. Le père faisait alors la guerre en Italie, où il s’empara du fameux bandit patriote Fra Diavolo.

En 1807, nommé gouverneur de la province d’Avellino, il rappelle tous les siens auprès de lui.

Puis il suit dans son nouveau royaume son ami le roi de Naples, qui est devenu le roi d’Espagne. Ce sont trois années, de 1808 à 1811, qué sa femme et ses enfants passent à Paris dans la maison des Feuillantines.

En 1811, le colonel est nommé gouverneur des trois provinces d’Avila, de Ségovie et de Soria. Sa famille vint le rejoindre, mais elle : dut, devant la mauvaise tournure des événements, se retirer un an après pour s’installer définitivement à Paris.

Que de pays vus en si peu d’années ! et comme Victor Hugo a pu dire :

Avec nos Camps vainqueurs, dans l’Europe asservie,
J’errais, je parcourus la terre avant la vie.

Si je l’étudiais comme poète, je montrerais l’impression que ces voyages durent exercer sur son imagination. Je dirais qu’il

… Rapporta de ses courses lointaines
Comme un vague faisceau de lueurs incertaines,

et que

Ses souvenirs germaient dans son âme échauffée.

Je n’en ai parlé que pour montrer comment, durant cette première période de son enfance, ce fut sa mère qui s’occupa exclusivement de l’éducation de Victor Hugo.

Sa famille occupait une vaste maison, dont le principal agrément était ce jardin des Feuillantines que le génie du poète a immortalisé. Les trois jeunes frères allaient en classe chez un vieux brave homme, un ancien prêtre de l’Oratoire qui, pour échapper aux dangers de la tourmente révolutionnaire, avait épousé… sa servante. Je n’ignore pas que Victor Hugo, tout en rendant hommage au bon cœur de son premier maître, s’est efforcé dans sa vieillesse de marquer l’empreinte funeste que l’éducation d’un prêtre avait pu imprimer à son cerveau d’enfant. Mais qu’il a été mieux inspiré dans ces vers exquis de son âge mûr !

J’eus, dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère,
Trois maitres : — un jardin, un vieux prêtre et ma mère.
Le jardin était grand, profond, mystérieux,
Fermé par de hauts murs aux regards curieux,
Semé de fleurs s’ouvrant ainsi que les paupières,
Et d’insectes vermeils qui couraient sur les pierres,
Plein de bourdonnements et de confuses voix,
An milieu, presque un champ, dans le fond presque un bois.
Le prêtre, tout nourri de Tacite et d’Homère,
Était un doux vieillard. Ma mère, — était ma mère !
Ainsi je grandissais sous ce triple rayon.

La restauration des Bourbons remplit d’aise la mère de Victor Hugo. Elle manifesta de toutes façons la satisfaction bruyante que lui causait la restauration royaliste. Et, — ceci me paraît assez notable, — le jour