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avec la peinture religieuse, au second plan des retables et rien n’était encore changé dans les façons de disposer et d’exécuter un tableau d’autel. Il est donc licite de conjecturer que les œuvres de Bosch conçues normalement et sans sacrifice aux accentuations typiques extrêmes et caricaturales sont de la première partie de sa carrière. Par exemple, l’Adoration des Mages, du Prado, et le Martyre de sainte Julie, de Vienne.

Toutefois, nous devons constater que, depuis van Eyck, les influences populaires n’avaient cessé d’agir et que, tout au moins dans le domaine de la gravure, elles tendaient à élargir beaucoup le champ de l’invention des artistes. Les estampes à sujets religieux, destinées à se répandre de toutes parts, doivent à la fois au goût et à la technique des graveurs un mélange de rudesse et de bonhomie, de simplification et de naïveté qui les rapproche incontestablement de l’esprit du peuple. En même temps, le burin des spécialistes s’intéresse aux données profanes et en constitue un vrai répertoire. Entre 1440 et 1460, le graveur de style archaïque dit « le Maître des jardins d’amour » produit, en dehors de ses scènes pieuses, deux Jardins d’amour, inspirés du Roman de la rose et fourmillants de personnages costumés à la mode de la cour bourguignonne, un Homme sauvage à la licorne, une Femme sauvage au cerf et un Saint Éloi dans son atelier, assis sur une haute chaise, le marteau à la main, auprès de son enclume, entouré de ses ouvriers et de toutes les bêtes domestiques de sa maison. Le « Maître de 1466 » et Schongauer de Colmar sont mis en verve par les diables et les monstres, mais le « Maître de 1480 » ou « du cabinet d’Amsterdam » n’hésite pas devant des anecdotes scabreuses – témoins un Vieil homme épris d’une jeune femme qui lui vole sa bourse et une Vieille femme offrant à un jeune homme de riches présents. Nous sommes, maintenant, fort près de Hieronymus et dans un ordre d’idées que s’approprieront bientôt ses contemporains et ses successeurs plus ou moins sous sa dépendance, depuis Jean Prevost de Bruges jusqu’au grans Matsys d’Anvers. Qu’il ait, à maints égards, et dès la moyenne période de sa vie de producteur, subi l’impression des caprices de ses devanciers et que ses personnels instincts y aient trouvé un stimulant émancipateur, nous n’avons aucune peine à le croire. Toutefois, nous pensons que son développement progressif et décisif vient surtout d’une cause bien autrement énergique, énoncée plus haut, mais sur laquelle il sied d’insister :