Page:La Revue de l'art ancien et moderne, Tome XXXI, Jan à Juin 1912.djvu/324

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dont la physionomie doit rester toujours surhumainement humaine ou idéale, les hommes faibles, égarés ou pervers ne dissimulent en rien leur vilenie. Ainsi le veut l’esthétique théâtrale, surtout chez les hommes du Nord. Loin de masquer les tares physiques, l’art s’en empare et les souligne même, afin d’extérioriser les tares morales sous des traits qui les dénoncent. Autant de situations, autant de tableaux scéniques proposés à l’émulation des peintres capables de s’en inspirer. Bosch a traité plusieurs fois l’épisode de l’Ecce Homo, où l’Innocent est offert, par la lâcheté de Pilate, aux outrages d’une foule aveugle et féroce. Nous avons décrit le panneau de l’Escurial, dont la ville de Valence se flatte de posséder le premier exemplaire, accosté en triptyque de la Trahison de Judas et de la Flagellation. Jésus y est exposé aux yeux de la tourbe, entouré de cinq figures synthétisant cinq états caractéristiques de l’avilissement social et en lesquelles se devinent cinq portraits d’acteurs du saint drame joué par les confréries, copiés d’après le vif. Il n’y a presque rien là (du moins dans la scène centrale) de proprement caricaturé. L’œuvre remonte donc, sans doute, à la période moyenne de la carrière de Hieronymus.

Bientôt, l’artiste reprend le thème et peint l’Ecce Homo entré dans la collection Kaufmann, de Berlin. Ici, la scène est présentée tout à fait en forme de théâtre, sur un fond très finement achevé de ville néerlandaise. À gauche, le Christ sanglant, chancelant, misérable, abandonné aux opprobres, du haut de la terrasse attenante au tribunal, par un dignitaire en turban, à la face scélérate, en présence de juges et de bourreaux, tous vus en pied. À droite, en contre-bas, coupée par la bordure, une assemblée mêlée de comparses de tradition et de plusieurs types déjà violemment étranges : un vieux chef au manteau brodé, une lourde épée au flanc, gesticulant et comptant sur ses doigts les accusations proférées contre le Juste ; un bourgeois à double menton opinant de la tête ; un important vieillard, appuyé sur un haut bâton terminé en croix, lançant, de sa bouche flétrie la sénile invective ; un porte-falot, élevant son pot à feu qui a dû servir déjà dans la scène du mont des Oliviers ; des soldats à l’équipement bizarre, dont l’un, même, est pourvu d’un énorme bouclier rond, bombé, blasonné d’une grenouille en relief. L’emploi voulu de la laideur, le recours, en un but bien raisonné, aux déformations, à un prognatisme quasi animal, se manifestent dans leur première force avant