Page:La Revue de l'art ancien et moderne, Tome XXXI, Jan à Juin 1912.djvu/358

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de l’orgie, nous explique cette imagination passionnée d’un coloriste incapable de concilier son rêve avec la lente correction des formes : le modèle ne pose point pour de telles scènes. La réalité ne propose pas non plus un tableau tout fait, pour évoquer Roméo et Juliette, leurs adieux au balcon de Vérone, que Baudelaire avait remarqués au Salon de 1846, dans les vapeurs violacées du crépuscule romantique et les froides clartés du matin.

Avec Delacroix orientaliste, à son retour du Maroc, avec le soleil d’Anatolie que Decamps ne délaisse que pour gonfler sons le ciel gris l’habit rouge de son petit Chasseur, voici « la victoire de l’art moderne » ; et le paysage, que l’Anversois Blœmen réduisait aux purs horizons romains d’une pastorale antique, va manifester ici l’antithèse capitale de l’observation précise et du vague souvenir avec deux chefs-d’œuvre : l’Allée des Châtaigniers, de Théodore lîousseau, refusée par le jury du Salon de 1835 ; la Solitude, de Corot, discutée par la critique au Salon de 1866. Les doctes jurés de 1835 n’avaient donc jamais entrevu la campagne française pour ne pas apprécier aussitôt, tout au bout de cette ombreuse Allée, peinte, non pas à Fontainebleau, mais en Vendée, près de Bressuire, l’étonnante dégradation des ombres portées par les branchages, ni la tendresse ensoleillée des verdures lointaines ? En retrouvant, trente ans plus tard, chez Khalil Bey, le tableau devenu fameux, Théophile Gautier félicitait noblement son âge mûr « de n’avoir rien à réformer des admirations de sa jeunesse » ; et soixante-dix-sept printemps n’ont point terni cette vigoureuse merveille du romantisme, maintenant classique à son tour par la souple fermeté de son architecture végétale. En sa pâle clarté sur les prés verts et beau mauve, la Chaîne des Alpes vue du col de la Faucille avoue, chez ce traducteur alors audacieux de l’univers, une conscience qui ressemblait de plus en plus au remords de l’exactitude et d’un savant passé.

Ce tourment d’un observateur n’a jamais hanté l’heureux poète qui trouvait dans son rêve de peintre, réalisé sur le tard, « une compensation â la jeunesse envolée ». Pour oublier la mort subite de son ami Dutilleux, Corot peignit cette élégiaque Solitude en son atelier, d’après une étude ancienne ; et ce Souvenir de Vigen (Limousin), qui fut exposé la même année qu’un Soir idyllique, exprimait, par son titre même, toute la poé-