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Page:La Revue de l’art ancien et moderne, tome 52, 1927.djvu/162

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Isaie et Jérémie, annonciateurs du Christ, et, sur les revers, on voit, d’un panneau à l’autre, l’Apparition du Christ à Marie-Madeleine.

C’est surtout l’exposition des Primitifs français de 1904 qui attira l’attention sur ce triptyque, ou plutôt sur le panneau central qui y figurait seul. En 1923, un regain d’intérêt fut suscité par l’exposition d’art flamand qui eut lieu, comme la première, à Paris. Que l’œuvre ait successivement figuré dans ces deux expositions de programme différent, cela symbolise fort bien les opinions contraires des érudits.

Dès 1904, Henri Bouchot avait très nettement exposé les principaux arguments qui justifiaient, suivant lui, l’attribution à un artiste français issu du milieu bourguignon et travaillant dans le midi de la France vers 1440. Depuis, on a retrouvé les volets latéraux : Isaie et Jérémie sont debout sous une arcature de pierre dont les faisceaux de colonnettes et les chapiteaux sont identiques aux éléments correspondants de la grande église où se déroule la scène de l’Annonciation, tandis que le sujet, Noli me tangere, qui se voyait au revers de ces panneaux quand le triptyque était fermé, semble bien indiquer que l’œuvre a été exécutée pour cette église de la Madeleine où elle se trouve aujourd’hui[1]. À quelle époque a-t-elle perdu ses volets, on l’ignore.

La partie supérieure des niches où se tiennent les deux prophètes est occupée par une planche chargée de livres et d’objets en usage chez les scribes et les lettrés. Le panneau de gauche, celui d’Isaie, a été, on ne sait quand ni pourquoi, divisé en deux. La figure du prophète, dont le fond a été rogné de tous les côtés, si bien qu’il ne reste rien de l’architecture qui l’encadrait, se trouvait dans la collection de sir Herbert Cook, à Richmond. Entre temps, la nature morte aux livres, également rognée, mais ayant gardé une partie de son arcature, entrait au Rijksmuseum d’Amsterdam par suite d’un legs. C’est elle que le Louvre va posséder pendant trois ans.

Pourquoi Aix n’imiterait-elle pas un si bel exemple, que suivraient à leur tour Bruxelles et Richmond ? Quel insigne service un si intelligent libéralisme ne rendrait-il pas à l’art, si l’on pouvait voir au Louvre, pendant trois ans ou au moins pendant quelques mois, le triptyque d’Aix presque intégralement reconstitué, tel qu’il fut peint vers 1440 ?

Pour que l’on pût avec certitude rapprocher par la pensée les deux fragments d’Amsterdam et de Richmond, il fallut la découverture, en 1923, du pendant intact, le volet de Jérémie, qui, conservé de longues années dans une résidence de campagne provençale, apparut tout à coup à Paris dans la vente J. N… [Jacques Normand]. Le Louvre et le musée de Bruxelles se trouvèrent en rivalité aux enchères : le second, mieux muni ce jour-là, eut l’heureuse fortune de se faire adjuger le précieux panneau, et l’on s’aperçut alors seulement avec évidence que l’histoire de l’art avait reconquis les différentes parties d’un triptyque qui est une des œuvres les plus belles et les plus importantes du milieu du xve siècle.

Cependant, – est-ce parce que le musée de Bruxelles, conservatoire naturel de l’art flamand, était l’acquéreur du volet de Jérémie ? – il y eut un retour de faveur

  1. Panneau central et volets sont en bois de sapin ; ils sont peints a tempera sur fond plâtré, avec bandes de toile marouflées sur le bois. Matière et procédé qui s’opposent aux usages des ateliers flamands.