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Page:La Revue de l’art ancien et moderne, tome 52, 1927.djvu/164

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chez certains critiques pour l’attribution du triptyque tout entier à la Flandre. On en trouve des traces dans l’intéressante enquête que la Revue de l’Art fit auprès d’un certain nombre d’érudits qualifiés en guise de conclusion à la belle exposition flamande du Jeu de Paume. On était alors plus spécialement préoccupé d’un autre difficile problème, celui du Maître de Flémalle, problème auquel M. Hulin de Loo venait d’apporter la solution la plus plausible en identifiant l’auteur du Triptyque de Mérode avec Robert Campin. Mais ce savant aussi prudent que perspicace se gardait bien d’approuver l’annexion pure et simple de l’Annonciation d’Aix à la Flandre. Il proclamait que le retable de l’église de la Madeleine a été exécuté dans la région même : « les procédés techniques le prouvent ». Quant à l’auteur, il a eu certainement pour modèle des maîtres flamands, et l’on peut indifféremment le croire « Français d’éducation flamande ou Flamand acclimaté en France ».

La sagesse de cette opinion n’a pas perdu de son autorité. Cependant, il me semble qu’en considérant ce composé complexe qu’est, à cette époque, une œuvre peinte dans la région d’Aix et d’Avignon, on inclinera de plus en plus à y augmenter la part des éléments français.

Assurément, Claus Sluter et Van Eyck sont à l’origine de ce style large des figure et des draperies, de cet art plein à la fois de grandeur, de force et de vérité. Mais ce sculpteur et ce peintre, les deux plus grands artistes de la Flandre et des Pays-Bas à l’aurore du xve siècle, ne sortent-ils pas d’un milieu français ou, du moins, d’un milieu où dominent les éléments français, je veux dire d’une part la tradition d’un art de cour, de l’autre celle d’un grand style que, pour abréger, on peut appeler le style des sculpteurs de nos cathédrales ? Claus Sluter, tout néerlandais qu’il fût de naissance, a passé sa vie entière, ou peu s’en faut, à Dijon. Ce n’est pas d’un art flamand qu’il est le père, mais d’un art français ; et ce n’est peut-être pas forcer beaucoup la mesure que de dire qu’il en est à peu près de même pour Van Eyck.

En Van Eyck se croisent les influences de Bourgogne (c’est-à-dire de Sluter) et de Paris. Par son génie, il rend à la France autant et plus qu’elle ne lui a prêté. Il n’en est pas moins vrai que Van Eyck est le plus français, ou plutôt le seul francisant des grands peintres de la Flandre au xve siècle. L’art purement flamand, l’art flamand de Flandre, a vite évolué vers un maniérisme tantôt dramatique et pathétique, avec Van der Weyden, tantôt gracieux et précieux, à la mode miniaturiste, avec Memling. Ce n’est pas en Flandre que sont nées les œuvres qui, avec force et originalité, continuent le mieux Claus Sluter et Van Eyck. Qui ne voit en effet combien le triptyque d’Aix, la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon et le retable de Boulbon sont plus près de cette conception d’un art grand et simple que les œuvres, – disons les chefs-d’œuvre, – sorties vers le même temps des mains d’artistes authentiquement flamands ?

Ne s’explique-t-on pas mieux ainsi pourquoi on a eu tant de peine à classer et à dater ces trois peintures, en particulier la Pietà de Villeneuve et le retable de Boulbon ? Dans la courbe que décrit l’évolution de l’art flamand, infidèle aux enseignements de Sluter et de Van Eyck, elles ne trouvent pas de place à la date que, pour d’autres raisons, il faut leur assigner. Elles ont un air « eyckien », et même « pré-eyckien », et, si l’on n’était pas retenu par des impossibilités qui s’imposent au bon sens, l’imagination risquerait de se fourvoyer. Au milieu