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Page:La Revue de l’art ancien et moderne, tome 52, 1927.djvu/166

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sérénité et d’élégance sévère qui est pour une telle œuvre d’art ce que le ciel et le climat sont pour un pays.

La modeste nature morte détachée d’un volet de ce beau triptyque, dira-t-on que c’est bien peu de chose pour appuyer de telles conclusions ? On aurait tort. Là, dans les menus détails d’une composition accessoire, où toute liberté est laissée à la fantaisie de l’artiste, son tempérament, son instinct, ce qu’il tient à la fois de sa personnalité propre et du groupe ethnique auquel il se rattache, n’ont-ils pas plus de chance de se manifester sans réticence ni compromis ? Certes, ce n’est pas cet artiste qui a inventé ce décor de bibliothèque comme fond à une image de saint, de prophète ou de philosophe. La mode en est venue d’Italie et s’est développée en Flandre. Quintin Metsys, dans le premier quart du xvie siècle, l’employait encore avec prédilection pour ses portraits d’humanistes ; et il y avait preuve d’une telle virtuosité que l’on eut naguère une tendance à mettre sous son nom tous les tableaux où paraissait une nature morte de ce genre. Ce fut le cas du fragment d’Amsterdam, avant qu’on eût des indices de sa relation avec le retable d’Aix. Mais, si on regarde ces livres avec leurs signets et leurs sceaux, que l’artiste nous représente dans toutes les positions où peut les laisser l’homme d’étude qui les lit ou les consulte habituellement, et ces parchemins et cette boîte ronde de copeau léger, on y trouvera l’occasion de remarques analogues à celles que suggère le grand panneau de l’Annonciation.

Il est bien permis de se rappeler ici que la nature morte a eu chez nous d’illustres représentants et que l’originalité d’un maître comme Chardin, par exemple, est, non pas, comme on l’a vu ailleurs, d’y chercher un prétexte à des prouesses de pinceau et à une virtuosité tout extérieure, mais d’y introduire, à force de précision et d’humble amour de la vérité, un sentiment tout humain d’intimité domestique pour lequel le nom divin de poésie n’est pas trop fort. Il est bien permis aussi de se rappeler qu’une exécution calme et mesurée est un trait des artistes d’un pays plus disposé que tout autre à cet idéal classique dont le programme est : beaucoup d’art et peu de matière. Enfin, cette couleur claire, un peu froide, mais d’une fine harmonie et d’une grande distinction, c’est chez les Français de tous les temps qu’on en trouverait plus que partout ailleurs des exemples. Le bleu et le blanc y sont les notes dominantes. Chez quel artiste de pure extraction flamande voit-on de telles préférences de couleur ?

Pourquoi ne pas céder aux invites d’une rêverie sur le rôle du bleu et du blanc dans l’art français, depuis les primitifs jusqu’à nos jours et, par exemple, jusqu’à Maurice Denis ? Le bleu de Poussin, le bleu et le blanc de Le Sueur, n’ont guère d’équivalents dans les autres écoles : ils ont chez nous bien des antécédents et ils annoncent la palette plus française que jamais de nos artistes du xviiie siècle. Le « bleu Nattier » n’a-t-il pas laissé un persistant souvenir jusque dans le vocabulaire actuel des modes féminines ? Bleu et blanc, c’est France, regnum Mariæ, c’est l’écusson royal et le drapeau royal, c’est la bannière de Jeanne d’Arc, c’est le vœu de Louis XIII. N’est-il pas mystérieusement significatif que nos peintres, à leur insu peut-être, en aient fait un blason de l’art français ?


Paul JAMOT.
Conservateur-adjoint au musée du Louvre.