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Page:La Revue du Mois, tome 2, 1906.djvu/153

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LA REVUE DU MOIS

qu’on la traite d’épiphénomène. J’ai désiré souvent causer avec vous de ce chagrin : les vacances passées ensemble « au fond d’un golfe plein d’îlots » ne se sont pas retrouvées. Comme elles sont loin et près ! N’y a-t-il pas vingt ans ?

Ah ! les longues et belles causeries que nous avons eues, couchés sur l’herbe dans un repli de la falaise, humant les bonnes senteurs de la mer, regardant courir les nuages, souriant à nos idées qui courent aussi et cherchent à se rattraper ! Mais ne croyez pas que ces vacances-là soient les seules que j’aie passées avec vous ; j’avais vos livres, qui sont pour moi des livres de vacances : les voici, tout salis de coups de crayon, de notes marginales que j’ai parfois grand’peine à relire, ou bourrés de petits papiers ; je ne veux pas les rouvrir : je m’y plongerais de nouveau, j’y griffonnerais de nouvelles notes, et je renverrais à je ne sais quand cette lettre que je vous ai promise. Oui, j’ai beaucoup causé avec vous, silencieusement. Voici que j’ai fermé votre livre pour me promener ; j’entame la conversation en grimpant quelque sentier ; je la continue, assis sur une pierre ; j’attends avec vous la minute glorieuse pour laquelle je suis venu jusqu’ici : le soleil a disparu derrière les cimes de l’ouest ; dans un instant, très haut dans le ciel, bien au-dessus des nuages qui se traînent sur les montagnes violettes, ses rayons vont faire surgir le glacier que je surveille et qui resplendira dans la lumière. Lorsque la gloire s’est éteinte, et que les neiges lointaines sont devenues tristes et livides, je reprends la causerie, tout en dévalant rapidement sur la route, pour me réchauffer et ne pas arriver en retard au dîner de famille, dont le menu commence à préoccuper mon estomac vide.

Votre livre sur les Lois Naturelles m’a un peu expliqué ce qui m’étonnait dans votre opinion : « Il ne faut pas, dites-vous, nous faire illusion sur notre pensée et notre science : elles sont à notre taille. » Je le veux bien ; mais je ne sais pas trop où je commence et où je finis, et si je n’embrasse pas tout ce que je pense. Me voilà bien grandi, et je grandis en pensant et en sachant davantage. Au fait, j’ai lu récemment, à la quatrième page d’un journal, qu’on pouvait acquérir encore quelques centimètres, même après cinquante ans ; ils sont bien passés.

Vous avez pris pour épigraphe une « matière de bréviaire » que vous avez traduite assez librement : souviens-toi que tu es dans la nature. Cela, je ne l’ai pas oublié, mais je crois aussi