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PIERRE CURIE

il pouvait devancer leurs désirs et leur éviter même d’avoir à lui demander service. J’ai dit qu’il se liait lentement et sérieusement, comme il faisait toutes choses, sans emballements brusques mais sans se retirer quand il s’était donné.

J’ai dit comment le principe directeur autour duquel toute sa vie mentale s’était cristallisée était avant tout cette règle de science et de pure raison, d’éviter la souillure d’une compréhension ou d’une œuvre incomplètes ; toute sa production scientifique gravite autour de cet idéal, et la lecture de ses mémoires montre la scrupuleuse conscience avec laquelle il travaillait, le soin avec lequel il rendait témoignage de ce qu’il avait vu et compris.

Il avait à l’œuvre le plaisir de l’artiste qui crée et voulait n’avoir que celui-là ; il disait à l’un de ses amis les plus anciens, au physicien Guillaume, son scrupule, quand il faisait un travail, à ne jamais se soucier de ce qu’on en penserait ; aucun orgueil ici, mais simplement besoin de ne pas souiller son culte de la science par des vanités étrangères qu’il jugeait mesquines et peut-être nuisibles.

Il apportait à juger les travaux des autres la même conscience que pour les siens propres, n’épargnant aucune peine, aucun effort de réflexion pour comprendre ou pour suggérer. J’ai pu voir, quand il eut à discuter des thèses, comment il s’efforçait de conduire l’auteur au bout de sa pensée, de trouver ou de créer chez les autres les habitudes d’esprit qui lui étaient si chères.

Son soin était le même à suivre et à connaître tout ce qui se faisait, se publiait, sur les questions dont il s’occupait lui-même, autant par souci de rendre à tous justice entière qu’à cause de son intense besoin d’exactitude.

Aussi son érudition était-elle devenue remarquable de profondeur, de sûreté et d’étendue, depuis surtout que grâce à Mme Curie il pouvait rapidement et largement puiser à toutes les sources étrangères.

Le temps que prenait ce travail d’information complète lui faisait choisir de préférence les questions nouvelles, sans bibliographie excessive ; ce fut une des raisons qui le fit s’engager