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Page:La Revue du Mois, tome 2, 1906.djvu/30

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PIERRE CURIE

Maxwell, des Voigt. Et lui était en même temps un admirable expérimentateur.

Loin d’être émoussée par le poids de son savoir, son originalité se retrempait constamment au contact des faits, source de toute puissance et de toute fécondité. Autant peut-être qu’à ses qualités natives, il devait aux courses vagabondes de sa jeunesse et à toute une vie passée dans son laboratoire, ce sens profond de la recherche grâce auquel, là où d’autres auraient hésité, il voyait de suite l’expérience à faire, et la faisait mieux encore.

Il semble en effet, que grâce à son éducation concrète, il vivait en commerce intime et familier avec les phénomènes, s’en faisait une image très vivante : je vois l’énergie, me disait-il.

Cette intimité lui rendait moins nécessaire l’usage continuel des hypothèses précises et des théories dont beaucoup ont besoin pour soutenir leurs pas et trouver les questions à poser à la réalité. Une compréhension très claire et très profonde des principes généraux lui suffisait d’ordinaire, lui laissant certainement beaucoup plus de souplesse et plus de liberté dans l’observation. Il est certain en effet que la méthode expérimentale qui consiste à partir d’une idée théorique et à procéder par voie de vérification, si elle permet souvent d’aller très vite, ne laisse voir à l’esprit prévenu qu’une partie des faits et porte en elle-même une cause de faiblesse.

Curie a lui-même indiqué en quelque phrases caractéristiques son opinion sur ce sujet, et il ne disait rien qui ne fût l’expression d’une conviction très profonde.

Dans l’étude de phénomènes inconnus, on peut faire des hypothèses très générales et avancer pas à pas avec le concours de l’expérience. Cette marche méthodique et sûre est nécessairement lente. On peut au contraire faire des hypothèses hardies, où l’on précise le mécanisme des phénomènes ; cette manière de procéder a l’avantage de suggérer certaines expériences, et surtout de faciliter le raisonnement en le rendant moins abstrait par l’emploi d’une image. En revanche, on ne peut espérer imaginer ainsi une théorie complexe en accord avec l’expérience. Les hypothèses précises renferment presque à coup sûr une part d’erreur à côté d’une part de vérité. Cette dernière part, si elle existe, fait seulement partie d’une proposition plus générale à laquelle il faudra revenir un jour.