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Page:La Revue du bien dans la vie et dans l’art, année 6, numéro 4, 30 avril 1906.djvu/6

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L’AURORE


Le sommeil, enchainant le mensonge et le crime,
Apaise l’air troublé ; l’homme dort, tout est pur.
Aïeule du chaos, dans un repos sublime,
La Nuit plane et balance au-dessus de l’abime
Le monde enveloppé de son sUaire obscur.

« < Te repens-tu, dit-elle an Créateur qui rêve,
Le Néant c’est la fin ; parle et je lui rends tout.
Sur la fange sanglante où fleurit encore Eve,
Dien se penche. Il se tait. Le jour sauvé se lève,
Et, riant sous les pleurs, crie à l’homme : « Dehout ! »

1870.

SULLY-PRUDILOMME.

À l’occasion du 25 anniversaire de l’élection de M.Sully-Prudhomme à l’Académie française, un Comité, composé d’amis et d’admirateurs, a pris l’initiative, pour célébrer l’œuvre du poète et du peneur, de faire frapper une médaille gravée par M. Chaplain, membre de l’Académie des Beaux-Arts. Ceux de nos lecteurs qui voudraient s’associer à cet hommage si mérité sont priés d’adresser leur souscription à M. Lemerre, éditeur, passage Choiseul. Les souscripteurs de 20 fr. et au-dessus recevront une réduction de cette médaille reproduisant les traits du poète.


DEVANT LA MER


Doucement, le flot bal la grève jaune et grise,
Au pied de la falaise où les ors flamboyants
D’un soleil de juillet font des gammes de blancs,
Tandis qu’en hant les prés ondulent sous la brise.

Ici, la mer est verle ; an large, elle s’irise.
La vague enroule l’algue aux noirs galets grouillants.
A l’horizon, points noirs, les bateaux glissent, lents,
Sous le ciel qui se fond avec l’onde imprécise.

Bientôt, c’est le reflux ; l’astre du jour descend,
Embrasant l’eau de son regard incandescent ;
nais an couchant déjà la lune a fait la moue…

Le soir, on est plus triste el plus calme et plus las ;
On aime soupirer d’inconscients hélas !…
Le cœur est une mer où le soleil se joue…

Ault (Somme), Juillet-Août 1904.

PAUL-ARMAND HIRSCH.


LES MAINS


Mains troublantes,
Mains d’amantes,
Mains d’amour,
Mains d’un jour,
Mains divines,
Mains câlines,
Mains de vierges, mains d’enfants,
Mains de braves triomphants ;
— Main, qui frappe ou main qui tremble —
Mains !… vous qui, toutes ensemble,
De la route fleurie ou du sombre ravin,
Montez dans l’Inconnu sur un signe divin

Toutes sont là, toutes chéries,
Voulant caresses, flatteries,
Cherchant, frôlant, bras étendu,
Le bonheur toujours attendu.

Ô toi, menotte rose,
Chère et fragile chose,
Doigts souples, caressants,
Main douce des enfants.

Petites mains, blanches, menues,
Doigts tout peureux de l’ingénue,
Vierges qui passez dans nos rangs
Vos doigts pieux croisés, dessous un voile blanc ;

Et vous, douces berceuses,
Mains des mères heureuses,
Mères qui nous montrez dans vos bras triomphants
Avec un grand orgueil de tous petits enfants.

Mains d’amants, mains de rêve
Qui faites l’heure brève,
Ô semeuse de fleurs,
Semeuse de douleurs,
Dormeuse de caresse,
Main qui flatte et qui blesse,
Vous qui luttez sans trêve, ô doigts bagués de pleurs,
Contre la rude main du temps et du malheur !

Mains, toutes de vaillance,
Mains des soldats de France,
Mains de fer qui fixez la hampe des drapeaux,
Doigts brisés dans lesquels triomphent des lambeaux !

Et vous, filles du Christ, de la Grande Patrie,
Dont les mains ont tenu toutes les mains meurtries,
Main de prêtre ou d’apôtre, ô main dont l’ostensoir
Mêle au grain de l’encens la fleur de notre espoir ;
Mains vieilles, frémissantes,
Mains prêtes à l’assaut des dernières tourmentes,
Doigts tremblants du vieillard
Qui pressentant le ciel, écartez le brouillard :
Mains d’enfants, mains d’amants, mains de fous, mains de sages
Vos doigts, faibles ou forts, tournent la même page,
Menant sans le vouloir la foule des humains
Vers la lointaine aurore où se joignent les mains.

JEANNE HERTER-EYMOND.