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Page:La Revue générale, volume 5, 1888.djvu/395

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Z…, ni moi qui serons désignés pour telle ou telle résidence. Le résident est arrivé hier par le courrier. Et ce résident, cet homme qui venait occuper un poste légitimement dû à ceux qui depuis quinze ou vingt ans habitaient le pays, était un conseiller de préfecture en disgrâce ou un journaliste de cinquième ordre !

Il me souvient qu’en 1886, revenant du Cambodge, j’étais attablé un soir avant l’heure du repas, devant un des cafés de Saïgon, lorsqu’une main se tendit vers mol. Je la serrai avec empressement. C’était celle d’un de ces nombreux amis que l’on a si facilement dans la presse.

— Vous ici, lui demandai-je, et par quel hasard ?

— Ce n’est point un hasard, me répondit-il, je suis nommé résident à K… (Cambodge).

— Je ne vous félicite pas trop, répliquai-je, car l’insurrection bat son plein sur les rives du Mékong, comme on dit sur le boulevard.

— Erreur profonde, mon ami !

— Mais, permettez, j’en arrive. Donc…

— Erreur ! erreur ! je suis renseigné.

— Quand donc êtes-vous arrivé ?

— Il y a une heure !

Ainsi, ce brave garçon venait à peine de débarquer, et déjà il connaissait, mieux que nous la situation politique du Cambodge ! Sans doute avait-il pris ses renseignements au départ de Marseille dans quelque journal plus soucieux de vendre beaucoup que de dire vrai, et cela lui suffisait.

Eh bien, c’est de cet esprit que sont imbus en général les fonctionnaires improvisés que l’on envoie de Paris, par chaque courrier ou transport. N’est-ce pas déplorable à tous les points de vue ? Ce que je dis là n’est point nouveau, on l’a dit et répété avant moi ; mais puisque c’est la vérité et que cette vérité n’est pas encore apparue à qui de droit avec ses fatales conséquences, mon devoir dans une étude comme celle-ci est de la redire encore.

C’est enrayer, c’est empêcher totalement la perfectibilité de notre organisation administrative dans ces contrées que de retarder par d’intempestives et d’inexcusables nominations l’avancement régulier de ceux qui n’ont pas hésité à accepter une situation modeste à quatre mille lieues de la mère-patrie, dans l’unique espoir de la voir s’améliorer de jour en jour. Un gouvernement quel qu’il soit doit faire honneur à sa signature et tenir ses engagements. S’il ne le fait pas, c’est le découragement qu’il jette dans les rangs de ses subordonnés et le désordre qu’il organise. Paul Bert lui-même, dont on a si fréquemment en France vanté les hautes capacités, ne sut pas respecter les droits acquis. Le nombre de ses protégés était, de son vivant, incalculable. Les postes se créaient comme par enchantement et pendant que les vieux serviteurs croupissaient, dans des attributions qui les avaient préparés à remplir un rôle plus important, les bureaux d’Hanoï et d’Haïphong s’emplissaient de jeunes gens tout fraîchement arrivés que, dans sa bonté d’âme, l’ancien ministre de l’instruction publique nommait à des emplois aussi inutiles que fantastiques. Aussi, c’était un respectable budget que le budget des dépenses de notre protectorat, en l’an de grâce 1886 ! On eût dit d’une curée à laquelle se ruait un troupeau de faméliques.

Mais Paul Bert était un de ceux, trop nombreux encore qui s’imaginent que l’on arrive à tout par le frottement des intelligences et par l’instruction publique. Il croyait, en arrivant là-bas, qu’il lui suffirait d’enseigner aux Annamites les grandes maximes de nos philosophes, de leur faire entrevoir les avantages d’une pédagogie bien comprise, pour qu’ils vinssent à lui, enthousiastes et résolus. Il savait bien des choses, Paul Bert, mais il ne savait pas ce qu’il aurait dû savoir, en se risquant dans ces contrées asiatiques. Il ne savait pas que de tous les peuples du monde, celui qu’il était appelé à pacifier ne se livre pas, et trouve étrange que l’on veuille lui apprendre des choses qui ne lui serviront point à vivre selon ses goûts et ses passions.

Aussi, obtint-il un étrange succès le soir où, à la fin d’un banquet qui lui était offert par la colonie française, et en un discours plein de belles en volées patriotiques, il conjurait ses auditeurs de protéger l’Annamite, de le conseiller comme un frère cadet !

Cette qualification de frère cadet sonne étrangement parmi ces gens qui sont constamment à se défendre contre ce peuple qui est bien le plus inférieur que l’on connaisse, dont on connaît les instincts bas et pervers, mais dont on ignore encore les qualités.

Mais c’est là un côté de la question d’un intérêt tout particulier. Nous l’examinerons dans un prochain article.

(À suivre.)

Achille Brissac.
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LES CONTEURS ÉTRANGERS



LE VAMPIRE


Le petit bateau à vapeur qui fait journellement le service d’aller et retour entre Constantinople et les îles… nous ayant transportés sur la rive de Prinkipo on y prit terre.

La société ne se composait que de quelques personnes : Une famille polonaise, le père, la mère, la fille et le fiancé, puis nous deux. Je dois pourtant avouer, pour n’oublier personne, la présence d’un septième voyageur. Sur le pont de bois, jeté au-dessus de la Corne d’or de Stamboul, un Grec, jeune encore, s’était