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Page:La Revue générale, volume 5, 1888.djvu/397

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en faire part à l’univers entier. En proie aux mêmes sensations, dominé par les mêmes sentiments, on n’osait d’un mot rompre cette paix.

C’est à peine si nous nous aperçûmes qu’au bout d’une heure à peu près, le Grec se leva, ferma son carton, et nous ayant adressé un court salut, disparut de nouveau d’un pas léger. Nous restâmes absorbés dans notre contemplation muette.

Enfin, après plusieurs heures, quand l’horizon prit déjà la couleur violette, si ravissante dans le Midi, des couchers de soleil, la mère exhorta au départ. Nous descendîmes lentement vers l’hôtel, lentement, mais d’un pas élastique, comme des enfants sans soucis. À l’hôtel, nous nous assîmes à l’air, protégés par une marquise. À peine y étions-nous installés, qu’on entendit sous le berceau retentir le bruit d’une dispute et d’injures échangées. Notre Grec se disputait avec l’hôte ; nous écoutâmes pour nous divertir.

La conversation ne dura pas longtemps. « Si je n’avais point d’autres clients ici que des gens de la sorte ! gronda l’hôte en matière de conclusion, et il monta l’escalier allant à nous.

― « Quel est ce monsieur ? je vous prie, demanda le jeune Polonais, lorsque l’hôte se fut avancé tout près de notre table, comment se nomme t-il ? ― « Eh ! qui diable voulez-vous qui sache comment se nomme cet individu », continua de murmurer l’hôte, et il regarda mécontent au-dessus de la terrasse, « pour nous c’est le vampire ».

― « Un peintre ― n’est-ce pas ?

― « Vampire vous dis-je. Propre métier ! Il ne peint que des cadavres. Aussitôt que quelqu’un meurt à Constantinople ou dans les environs, cet individu a déjà fini le portrait du défunt le jour même. Il sent la mort et la peint d’avance sans jamais se tromper, le vautour ! »

La vieille Polonaise poussa un cri d’effroi : dans ses bras sa fille venait de tomber évanouie, blanche comme un linge. Déjà son fiancé avait sauté au bas des escaliers : il saisit d’une main le Grec à la gorge et tendit l’autre vers le carton.

Nous le suivîmes en hâte. Les deux hommes roulaient déjà dans le sable. Du carton entr’ouvert, les feuilles de papier à dessin s’étaient échappées et sur l’une d’elles se trouvait retracée d’une manière frappante, la tête de la jeune Polonaise, les yeux fermés, une couronne de myrtes autour du front.

Jan Neruda,
Traduction de P. Patrys.


VERCINGÉTORIX

Sur les monts d’Avérnie où le vent bat les hêtres,
Où grondent aux ravins les gaves écumants,
Ton âme fut forgée au choc des éléments,
Fils de Celtill ! preux noble entre tous nos ancêtres !

Ta hautaine fierté ne voulait point de maîtres.
César vint ! Il trouva debout les armements !
Ta vertu balança pendant quelques moments
La force du génie et la fourbe des traîtres !

Sois mis au premier rang dans le chœur des aïeux.
Grand Vercingétorix ! c’est le tien sous les cieux !
Qu’importe que le sort n’ait point servi ta cause ?

La patrie est un culte et tant qu’un peuple y croit,
Son vainqueur se décerne en vain l’apothéose.
L’histoire, en trébuchant, marche quand même au Droit !

esherriner.


LE DEVOIR

L’Univers est un flux et d’êtres et de choses
Qui ressemble à celui de la mer sous les vents ;
L’inconnaissable Ether roule en ses plis mouvants
Dans l’espace infini les effets et les causes !

Sans jamais s’épuiser en ses métamorphoses,
La lame va, déferle, essaime les vivants,
Fait germer la pensée au cerveau des savants,
L’étoile dans les cieux et dans nos parcs les roses !

Mais tandis que toujours s’enflant pour mieux bondir,
Le flot et le jusant, du zénith au nadir,
Mêlent l’esprit qui songe et l’atome qui vibre,

Seul, dominant ces jeux qu’il semble ne point voir.
Impassible et gardant malgré tout l’équilibre,
Debout sur un écueil, se dresse le Devoir !

esherriner.


LES FOUGÈRES

À notre sol usé vous semblez étrangères
Et le soleil sur vous darde un jet irrité :
C’est que vous receler dans sa fécondité
Toute une race inculte et puissante, ô fougères !

Vous avez traversé de vos frondes légères
Un période obscur que nul n’a limité,
Et, fières, vous dressez votre immortalité
Parmi des floraisons neuves ou passagères.