Aller au contenu

Page:La Revue indépendante - 1846 - année 6, série 2, tome 5.djvu/339

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LES ASCÊTES.[1]

 

I


Louve des bois latins, que le sang désaltère,
Tes hardis nourrissons avaient dompté la terre,
Et dans l'arène immense, à leurs pieds abattu,
Comme un gladiateur le monde s'était tu.
Le César, dévoré d'une soif éternelle,
Desséchait le lait pur de l'antique Cybèle ;
L'ardente priapée et les mornes ennuis
De honte et de terreurs alimentaient ses nuits,
Et, sombre dieu, maudit de la famille humaine,
Il pourrissait, couché dans la pourpre romaine.
Irrésistible mer, du sommet des sept monts,
Couvrant l'empire entier de ses impurs limons,
Nue, horrible, hurlant sur sa couche banale,
La débauche menait la grande saturnale.
Les satyres lascifs et les faunes fourchus,
Restes du vieil Olympe et de ses fils déchus,
Secouaient de leurs mains, avec un sombre rire,
Les torches d'Erynnis sur un monde en délire !
Le sol en frissonnait : et les races au front
Des baisers de la mort semblaient subir l'affront,
Depuis qu'au joug d'airain, blanche esclave enchaînée,
La Grèce avait fini sa belle destinée,
Et qu'un dernier soupir, un souffle harmonieux
Avait mêlé son ombre aux ombres de ses dieux !

  1. Note Wikisource : Ce poème (publié en 1846) est la première version, très différente, du poème Les Ascètes, paru dans Poèmes et Poésies en 1855 puis les Poèmes barbares en 1862.