Aller au contenu

Page:La Revue socialiste - 1897 semestre 2.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en ce qui concerne la plus haute faculté de l’homme, et la plus nécessaire, celle qui précisément le sépare de l’animal : le sens du mieux, l’initiative morale, l’aspiration à la vérité… l’habitude est, au contraire, sa plus cruelle ennemie ! Tout ce qu’on ne peut voir que d’un point élevé au-dessus de l’atmosphère commune, et du haut duquel, habitudes et préjugés disparaissent ; d’où les choses les plus familières se montrent sous un jour nouveau ; d’où ce qui fut donné comme vérité se voit erreur ; et ce qui était honni comme erreur se découvre vérité… en tout ceci, l’habitude est la rouille de l’esprit, la moisissure fatale et mortelle de l’intelligence humaine.

Elle glace les ardeurs généreuses et rend possibles les pires endurances. Une violation du droit vient d’être commise : Ce qu’on a de conscience éclate en transports d’indignation. Honte sur ses auteurs ! Que leur infamie soit châtiée ! Protester est un devoir… En avant ! de la plume ! de la parole ! des armes au besoin ! Qui devant un tel acte, pourrait se taire, en assumerait la responsabilité !… Bah ! dit l’habitude, n’en a-t-on pas souffert déjà de semblables ? Crois-tu, par ta faible protestation individuelle, changer le cours des choses ? Ils sont forts, puissamment armés contre toi ! et tu ne peux que te perdre ! Attends un peu du moins de voir ce que feront les autres ! Il attend, il écoute… mais le silence règne ; car les autres, comme lui-même, ont l’oreille au guet. L’heure passe de se prononcer… d’autres heures sonnent, appelant aux tâches habituelles… L’habitude pousse, et l’on va…

Le lendemain, tout en maudissant la lâcheté de l’opinion publique on se paie de bonnes raisons… « On ne peut pourtant pas se sacrifier tout seul pour les autres… qui ne vous en sauraient même pas gré ! » — Plus tard, on convient qu’il y a en toutes choses du pour et du contre ; et l’on s’en fie du triage à ce progrès latent, qui marche quand même, à ce qu’on assure. Il est vrai qu’on ne le voit pas, et que, s’il marche toujours, il devrait pourtant passer quelque part ? Mais il y a tant de choses qu’on ne voit pas ! et auxquelles on croit cependant !

L’habitude n’a-t-elle pas châtré l’enfant dès sa naissance ? Porté à l’autel, il a reçu le baptême de la superstition, et désormais le virus lui sera inoculé à toute heure, dès qu’il saura parler et entendre. Avant qu’il puisse comprendre, le fatal microbe aura déjà pris possession de son cerveau. À l’âge où l’intelligence se développe, on lui fera jurer respect et fidélité aux hallucinations écloses dans l’imagination des premiers humains. Le voici ramené aux temps quaternaires, infesté de miracle et d’illogisme, incapable dès lors de suivre la vérité simple, qui est aussi la justice. — Mais à quoi bon s’inquiéter, puisque si l’homme propose, Dieu seul dispose ?

Cependant, comment l’humanité progresserait-elle, quand chacun