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Page:La Revue socialiste - 1897 semestre 2.djvu/286

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a la force de briser. Sous le fouet de l’injustice, de l’abus, on frémit, on s’insurge !… Mais quoi ? l’on est seul !… Que faire ?… Les heures sont comptées, et d’avance chacune a sa tâche nécessaire… La planète tourne dans son orbe… et l’homme, après un instant d’arrêt, en fait autant.

L’organisme actuel, perfectionné de longue main, soutenu à la fois par le vieil instinct sauvage et par des calculs habiles ; basé sur l’ignorance des masses, leurs superstitions, l’inconscience et la force de l’habitude, et surtout l’aiguillon de la nécessité journalière… sur la dépendance, et le servilisme non moins grand, de la classe moyenne… servi, toutes les fois qu’il en est besoin, par la terreur et la calomnie — l’organisme actuel est fait pour durer… aussi longtemps qu’on ne sera pas arrivé à détruire les éléments nécessaires à sa vie.

Et l’on s’étonne du temps écoulé depuis que le droit du plus fort, de concert avec les Dieux, gouverne le monde !… Et l’on dit : puisque cela a eu lieu de tout temps, c’est que cela est dans la nature des choses ; et par conséquent sera toujours.

Mais qu’est-ce que le temps ?

Le terrain de l’histoire, le sol du théâtre sur lequel paraît l’acteur. Quand l’acteur sort ou se tait, le sol reste muet et sourd.

La seule fonction du temps est de contenir la nature et la vie ; l’homme et ses actes. Si l’homme, pour ses besoins, lui applique des mesures fixes, elles n’en sont pas moins relatives. Le temps vaut, par rapport à l’humanité, ce qu’elle vaut elle-même et les événements qu’elle produit. Telle heure a plus fait pour le sort du monde que la répétition des mêmes errements, pendant des siècles de torpeur. Compte-t-on dans sa vie morale les heures du sommeil ?

Quand l’oppression immobilise jusqu’à la pensée, réduit la foule immense à l’état d’un simple chiffre, l’histoire dépose sa plume, et le temps s’écoule silencieux, sur le silence d’une douleur, indéfiniment prolongée, dont une croyance, odieuse autant qu’absurde, faite pour la tyrannie, retient les cris. L’énorme antiquité des théocraties égyptienne et indoue, le pied du prêtre et celui du monarque écrasant le front humain pendant l’âge barbare, tout cela fut un seul acte, une même attitude, le cauchemar d’une longue nuit. Ce fut la réduction du temps, de la pensée, de la vie, à ce qu’en permirent ceux qui s’étaient chargés de penser et de vivre pour le reste des humains. — Le temps, n’ayant par lui-même ni connaissance ni logique, ne saurait être en fait de logique un argument. Il ne peut que rendre plus fort le poids de l’habitude, pétrifier l’individu et la race, durcir les crânes et matérialiser les cerveaux. C’est une force neutre, n’agissant que selon la matière qui lui est fournie : empirant le mal, fortifiant le bien ; n’aidant que ce qui s’impose.