Page:La Rochefoucauld - Œuvres, Hachette, t1, 1868.djvu/147

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de difficulté[1] que personne à taire ce qu’on m’a dit en confidence[2]. Je suis extrêmement régulier à ma parole : je n’y manque jamais, de quelque conséquence que puisse être ce que j’ai promis, et je m’en suis fait toute ma vie une obligation indispensable. J’ai une civilité fort exacte parmi les femmes, et je ne crois pas avoir jamais rien dit devant elles qui leur ait pu faire de la peine. Quand elles ont l’esprit bien fait, j’aime mieux leur conversation que celle des hommes : on y trouve une certaine douceur qui ne se rencontre point parmi nous ; et il me semble outre cela qu’elles s’expliquent avec plus de netteté, et qu’elles donnent un tour plus agréable aux choses qu’elles disent. Pour galant[3], je l’ai été un peu autrefois ; présentement je ne le suis plus, quelque jeune que je sois[4]. J’ai renoncé aux fleurettes, et je m’étonne seulement de ce qu’il y a encore tant d’honnêtes gens qui s’occupent à en débiter. J’approuve extrêmement les belles passions ; elles marquent la grandeur de l’âme, et quoique dans les inquiétudes qu’elles donnent il y ait quelque chose de contraire à la sévère sagesse, elles s’accommodent si bien d’ailleurs avec la plus austère vertu, que je crois qu’on ne les sauroit condamner avec justice. Moi qui connois tout ce qu’il y a de délicat et de fort dans les grands sentiments de l’amour, si jamais je viens à aimer, ce sera assurément de cette sorte ; mais de la façon dont je suis, je ne crois pas que cette connoissance que j’ai me passe jamais de l’esprit au cœur.


  1. Dans le texte de Duplessis : « et j’ai moins difficulté. »
  2. Voyez la 5e des Réflexions diverses.
  3. Il y a galand, par un d, dans les deux éditions in-8o de 1659.
  4. L’auteur avait en 1658 quarante-cinq ans.