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PORTRAIT DU CARDINAL DE RETZ

contribué à sa réputation, est de savoir donner un beau jour à ses défauts[1]. Il est insensible à la haine et à l’amitié, quelques soins qu’il ait pris de paroitre occupé de l’une ou de l’autre ; il est incapable d’envie et d’avarice[2], soit par vertu, soit par inapplication. Il a plus emprunté de ses amis qu’un particulier ne pouvoit espérer de leur pouvoir rendre il a senti de la vanité à trouver tant de crédit, et à entreprendre de s’acquitter[3]. Il n’a point de goût, ni de délicatesse ; il s’amuse à tout, et ne se plaît à rien ; il évite avec adresse de laisser pénétrer qu’il n’a qu’une légère connoissance de toutes choses. La retraite qu’il vient de faire[4] est la plus éclatante et la plus fausse action de sa vie ; c’est un sacrifice qu’il fait à son orgueil, sous prétexte de dévotion : il quitte la cour, où il ne peut s’attacher, et il s’éloigne du monde, qui s’éloigne de lui.


  1. Voyez les maximes 162 et 354. — Dans ses Mémoires, l’auteur ajoute : « Il savoit feindre des vertus qu’il n’avoit pas. »
  2. Dans les Mémoires : « Son humeur étoit… désintéressée. »
  3. C’est en 1676, l’année même où ce portrait fut composé, que le Cardinal entreprit de s’acquitter envers ses créanciers en allant vivre dans la retraite. Il s’acquitta en effet. Mme de Sévigné écrit à Bussy, le 27 juin 1678 (tome V, p. 459) : « Vous savez qu’il s’est acquitté de onze cent mille écus. »
  4. La Rochefoucauld parle sans doute de la résolution que Retz avait prise de se retirer à l’abbaye de Saint-Mihel, et qu’il exécuta en juin 1675, dans le temps même où Mme de Sévigné envoyait le présent portrait à Mme de Grignan : voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tome V, p. 482. Quelques mois plus tard, le pape lui ordonna de quitter Saint-Mihel pour aller vivre à Commercy. Il s’était démis depuis plusieurs années de l’archevêché de Paris ; il voulut aussi renoncer à son chapeau de cardinal, mais le pape et le Roi exigèrent qu’il le gardât.