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Page:La Roncière - Nègres et négriers, 1933.djvu/243

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tout un troupeau d’insulaires dévala vers l’orchestre, qui redoubla ses battements. Hommes et femmes s’élançaient et s’enlaçaient, en chantant une mélopée sur un rythme langoureux. Un lieutenant américain, Faustin Wirkus, contemplait le spectacle sans se douter du rôle qui lui était réservé. Bientôt les tambours retentirent avec une intensité étrange : « c’était tantôt comme de grosses gouttes de pluie tombant sur une toiture de tôle, tantôt comme le battement des ailes de pigeons… La reine Julie dansait dans un rayon de lune ; ses pieds ne semblaient plus toucher le sol, son corps tournoyait… Je me rendais compte, écrit Wirkus, que moi aussi je me balançais doucement comme les feuilles des arbres sous une brise légère. »

Et le lieutenant américain épousa si bien le rythme de la danse qu’il fut sacré roi de l’île de la Gonave, suivant le rite des « Sociétés Congo »… Il y avait deux siècles que, sur les côtes d’Afrique, un autre blanc, le négrier marseillais Granot, avait été sacré roi du Congo à San Salvador.

À Wirkus comme à Granot, le hougan rappela tout d’abord le rôle d’un chef ; et, usant du patois créole, mais aussi de mots qui appartenaient à un dialecte africain, il célébra le désintéressement, l’esprit de justice du récipiendaire, qui encourageait le travail et ne tolérait point le vol. Puis, le hougan, le prêtre du serpent Vaudoux, prit le couteau du sacrifice au manche serti de coquilles, ouvrit le cou d’un poulet et, de ses doigts humides, oignit Wirkus sur le front. Puis, avec le sang du poulet, il lui dessina des serpents