Page:La Société nouvelle, année 11, tome 1, volume 21, 1895.djvu/16

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L’excès de travail répugne à la nature humaine, non le travail : L’excès de travail qui donne le luxe aux privilégiés, non le travail qui nourrit les hommes. Le travail, la vie active sont une nécessité physiologique, car il importe d’utiliser les forces physiques emmagasinées, il y va de la santé, de la vie même. Et si tant de travaux utiles ne sont exécutés qu’avec dégoût, ils le doivent à une organisation abominable, ou au surmenage. Mais nous savons — le vieux Franklin savait — que, si tout le monde travaillait utilement, quatre heures par jour suffiraient amplement pour produire tout ce qui est nécessaire à un confort que la classe moyenne seule possède aujourd’hui, à condition, sans doute, de ne point gaspiller nos forces productives comme nous le faisons actuellement. Quant à cet enfantillage ressassé depuis cinquante ans, à savoir qui est-ce qui ferait le travail désagréable ? — je regrette qu’aucun de nos savants n’ait eu l’occasion de le faire, au moins une fois dans la vie. S’il y a encore des travaux réellement désagréables, c’est que notre personnel scientifique n’a jamais daigné s’occuper de les rendre salubres ou même intéressants. Ils savent bien qu’il y a toujours assez de meurt-de-faim pour les exécuter contre un salaire dérisoire.

L’objection qui conclut à la nécessité d’un gouvernement pour punir les transgresseurs des lois sociales, est bien plus sérieuse ; mais il y aurait tant à dire sur la question qu’on hésite à le faire incidemment. Disons seulement que plus nous l’étudions, plus nous en arrivons à la conviction que la société elle-même est responsable des actes antisociaux qui se commettent dans son sein et qu’il n’y a ni peines, ni prisons, ni exécuteurs des hautes œuvres qui puissent en diminuer le nombre, rien, sauf la reconstitution de la société. Les trois quarts des délits déférés aux tribunaux proviennent directement ou indirectement de l’organisation actuelle de la production et de la répartition de la fortune publique, et non de la perversité de notre nature. Quant aux actes relativement rares qui résultent des dispositions antisociales de quelques individus, la prison ni même la guillotine ne pourraient les prévenir. La prison les multiplie et corrompt davantage le criminel. Par nos mouchards, notre « prix du sang », nos exécutions et nos cachots, nous inondons la civilisation d’un océan de basses passions et de mœurs déplorables. Celui qui voudrait étudier ces institutions jusqu’en leurs extrêmes résultats, serait épouvanté du mal que l’on fait sous prétexte de défendre la morale[1]. Il faut que l’on cherche d’autres remèdes, et ces remèdes sont depuis longtemps indiqués.

Sans doute, lorsque, comme aujourd’hui, une mère qui cherche du pain

  1. Voy. In Russian and French Prisons du même auteur. Londres. 1886 (Ward and Downey). Aussi Les Prisons, conférence faite à Paris en 1888.