Page:La Société nouvelle, année 11, tome 1, volume 21, 1895.djvu/391

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« foi », on a toujours agi par instinct… Dans le monde des représentations, chez le chrétien rien ne paraît qui touche à la réalité : nous recon­naissons, par contre, dans la haine instinctive contre toute réalité, l’élé­ment impulsif, le seul élément impulsif dans les racines du christianisme. Qu’est-ce qui s’ensuit ? Que in psychologisis l’erreur est également radi­cale, c’est-à-dire déterminante pour les êtres, c’est-à-dire substance. Qu’on enlève ici une seule idée, une seule réalité, et tout le christianisme roule dans le néant. Regardé de haut, ce fait, le plus étrange de tous, reste une religion non seulement motivée par des erreurs, mais inventive et même géniale seulement dans des erreurs dangereuses pour la vie et le cœur — un spectacle pour les dieux pour ces divinités qui sont en même temps des philosophes et que j’ai rencontrées, par exemple, dans ces célèbres dia­logues de Naxos. Au moment où le dégoût les quitte (et nous quitte nous !) ils deviennent reconnaissants pour le spectacle du chrétien : la petite étoile, misérablement petite, qui s’appelle la Terre, mérite peut-être seule, à cause de ce curieux cas, un regard divin, un intérêt divin… Mais ne mésestimons pas le chrétien : le chrétien faux jusqu’à l’innocence, est bien au-dessus du singe ; en ce qui concerne le chrétien, la théorie de descendance devient une pure amabilité…


XL


Le sort de l’Évangile se décida au moment de la mort, il était suspendu à la « croix ». Ce fut la mort, cette mort inattendue et ignominieuse, la croix qui généralement était réservée à la canaille[1], cet épouvantable paradoxe seul amena les disciples devant le véritable problème : « Qui était-ce ? qu’était cela ? » On ne comprend que trop bien le sentiment ému et offensé jusqu’au fond de l’être, l’appréhension qu’une pareille mort puisse être la réfutation de leur cause, le terrible point d’interrogation : « Pour­quoi en est-il ainsi ? » Là tout devait être nécessaire, avoir un sens, une raison, une raison supérieure ; l’amour d’un disciple ne connaît pas le hasard. Ce n’est que maintenant que s’ouvrit l’abîme : « Qui est-ce qui l’a tué ? qui était son ennemi naturel ? » Cette question surgit comme un éclair. Réponse : Le judaïsme régnant, sa classe dirigeante. Depuis lors on se trouva en révolte contre l’ordre, on interpréta postérieurement Jésus comme un révolté contre l’ordre établi. Jusqu’ici ce trait guerrier et négatif man­quait à son image ; plus encore, il en était la négation. Il est évident que la petite communauté n’a pas compris l’essentiel, l’exemple donné de cette façon de mourir, la liberté, la supériorité sur toute idée de ressentiment :

  1. Canaille, en français dans le texte. (N. du T.)