Page:La Société nouvelle, année 11, tome 1, volume 21, 1895.djvu/9

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inauguré par Garibaldi, et beaucoup de protestants anglais s’applaudissent que le désordre introduit par Luther l’ait emporté sur l’ordre défendu par le pape. Il n’y a non plus qu’une seule opinion sur l’ordre qui, comme on le sait, fut rétabli à Varsovie. Tout le monde convient ainsi que l’harmonie est ce qu’il y a de plus désirable, mais on est loin de se mettre d’accord sur l’ordre, de sorte que nous n’avons pas la moindre objection à ce que le mot anarchie soit pris dans son sens de la négation de ce que l’on décrit le plus souvent comme l’ordre.

En prenant l’anarchie, ou « pas de gouvernement » pour drapeau, nous prétendons être d’accord avec l’esprit de notre temps. Les époques, où nous voyons, dans l’histoire, une ou plusieurs fractions de l’humanité renversant le despotisme des chefs et marchant à la conquête de l’indépendance, sont précisément celles des plus grands progrès économiques et intellectuels. Rappellerons-nous le développement des communes libres dont les incomparables monuments, chefs-d’œuvre de libres associations d’ouvriers libres, témoignent encore du réveil de l’esprit, du bien-être des citoyens ? Parlerons-nous du grand mouvement d’où est sorti la Réforme ? Chaque fois que dans le passé l’individu reprenait possession de soi-même et de sa liberté, une ère de progrès était inaugurée. Et, en observant de près le développement actuel des nations contemporaines, nous remarquons qu’il tend à limiter de plus en plus l’action gouvernementale, en laissant le champ libre à l’initiative individuelle. Après avoir subi tous les genres d’autorité et cherché à résoudre cet insoluble problème : trouver un gouvernement qui force les gens à l’obéissance sans pour cela se dispenser d’obéir lui-même à la collectivité, l’humanité prend maintenant à tâche de s’affranchir des gouvernements, quels qu’ils soient, et de satisfaire par la libre entente au besoin qu’elle a d’organisation. Le home rule devient une nécessité, même pour le plus petit groupement territorial ; l’accord librement consenti se substitue à la loi et la libre coopération à la tutelle de l’autorité. Les fonctions que depuis deux siècles on considérait comme apanage exclusif du gouvernement lui sont l’une après l’autre contestées. On peut dire que la société progresse d’autant mieux qu’elle est moins gouvernée. Et en considérant le progrès accompli depuis deux siècles dans cette voie, en même temps que l’impuissance des gouvernements à répondre aux espérances que l’on plaçait en eux, on en arrive à la conclusion qu’en limitant ainsi continuellement le rôle de l’autorité, l’humanité finira par le réduire à zéro. Nous entrevoyons déjà un état de société où la liberté individuelle ne sera limitée par aucune loi, aucune règle, et seulement par les habitudes sociales de l’individu et par le besoin que chacun de nous éprouve de trouver aide, support et sympathie auprès de ses semblables.

Les objections que l’on soulèvera contre cette éthique de la société sans