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Page:La Société nouvelle, année 12, tome 2, 1896.djvu/587

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même temps les écrase, les enveloppe de toutes parts, en menaçant leur existence à chaque heure et qui finit toujours par les tuer.

Comme les animaux de toutes les autres espèces n’ont pas cette puissance d’abstraction et de généralisation dont l’homme seul est doué, ils ne se représentent pas la totalité des êtres que nous appelons la nature, mais ils la sentent et ils en ont peur. C’est là le vrai commencement du sentiment religieux.

L’adoration même ne manque pas. Sans parler du tressaillement d’allégresse qu’éprouvent tous les êtres vivants au lever du soleil, ni de leurs gémissements à l’approche d’une de ces terribles catastrophes naturelles qui les détruisent par milliers, — on n’a qu’à considérer, par exemple, l’attitude du chien en présence de son maître. N’est-ce pas là tout à fait celle de l’homme vis-à-vis de son Dieu ?

L’homme aussi n’a pas commencé par la généralisation des phénomènes naturels, et il n’est arrivé à la conception de la nature comme être unique, qu’après bien des siècles de développement moral. L’homme primitif, le sauvage, peu différent du gorille, partagea sans doute très longtemps toutes les sensations et les représentations instinctives du gorille ; ce ne fut que très à la longue qu’il commença à en faire l’objet de ses réflexions, d’abord nécessairement enfantines, à leur donner un nom, et par là même à les fixer dans son esprit naissant.

Ce fut ainsi que le sentiment religieux qu’il avait en commun avec les animaux des autres espèces prit corps, devint en lui une représentation permanente et comme le commencement d’une idée, celle de l’existence occulte d’un être supérieur et beaucoup plus puissant que lui et généralement très cruel et très malfaisant, de l’être qui lui fait peur, en un mot, de son Dieu.

Tel fut le premier Dieu, tellement rudimentaire, il est vrai, que le sauvage qui le cherche partout pour le conjurer, crut le trouver parfois dans un morceau de bois, dans un torchon, un os ou une pierre : ce fut l’époque du fétichisme dont nous retrouvons encore aujourd’hui des vestiges dans le catholicisme.

Il fallut, sans doute, des siècles encore pour que l’homme sauvage passât du culte des fétiches inanimés à celui des fétiches vivants, à celui des sorciers. Il y arrive par une longue série d’expériences et par le procédé de l’élimination : ne trouvant pas la puissance redoutable qu’il voulait conjurer dans les fétiches, il la cherche dans l’homme-Dieu, le sorcier.

Plus tard et toujours par ce même procédé d’élimination et en faisant abstraction du sorcier, dont l’expérience lui avait enfin démontré l’impuissance, l’homme sauvage adora tour à tour les phénomènes les plus gran-