Page:La Société nouvelle, année 4, tome 2, 1888.djvu/370

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Il regarde si les tourmentes de neige ont bien couvert les sentiers de la forêt, s’il ne s’y trouve pas de fentes, de brèches, si quelque part la terre n’est pas nue.

Il regarde si les branches sont garnies de duvet et les troncs de jolis dessins, les glaces sont-elles solides sur les grands et les petits ruisseaux ? Il marche, il passe entre les arbres, son pas craque sur l’eau glacée et le clair soleil se joue dans les flocons de sa barbe.

Chemin libre au roi Moroz ! Hein ? il s’approche, le vieux roi, et le voilà qui se penche sur elle, juste au dessus de sa tête. Juché dans un grand pin, il frappe de son sceptre les branches et célèbre ses propres louanges dans une libre chanson.

XXXI

« Regarde, ma belle, avec plus de confiance, comme il est, le Roi de la Gelée  ! tu ne pourras trouver un garçon plus fort, tu n’en as jamais vu de plus beau. La tourmente, la neige et le brouillard sont toujours soumis à la gelée ; si je traverse les mers, les océans, j’y construis des palais de glace. S’il me plaît, les grands fleuves s’enferment pour longtemps sous mon joug : j’y élève des ponts de glace qui sont l’humiliation de l’industrie humaine. Où des eaux rapides et bruyantes coulaient naguère librement, aujourd’hui marchent des piétons et des obozes[1] avec des marchandises. J’aime, dans leurs profondes tombes, revêtir les morts de fleurs de glaces ; je congèle le sang dans les veines vivantes et le cerveau dans les têtes vivantes. Pour jouer un tour aux voleurs, pour effrayer le cavalier et le cheval, j’aime, aux heures du soir, faire craquer toute la forêt. Les petites babas, maudissant le Malin, se sauvent à la maison au plus vite. Et les ivrognes, cavaliers ou piétons, quel plaisir de les rendre fous de peur ! Sans craie je sais blanchir tous les museaux, je rougis les nez comme de la braise, et je soude les barbes aux guides, si fort qu’il faut la hache pour les séparer.

Je suis riche, je ne puis compter mes richesses et mon bien est intarissable ; je décore mon empire de diamant, de perle et d’argent.

Viens avec moi dans mon empire et règne à mes côtés ! l’hiver sera notre saison de délice et l’été nous dormirons profondément. Viens ! je te caresserai, je te réchaufferai, je te donnerai un palais d’azur… » Et le Roi de la Gelée, sur la tête de la veuve, agitait son sceptre glacé.

XXXII

« As-tu chaud, ma belle », lui dit-il du haut de l’arbre. — « Chaud », répond la veuve, blême et tremblante de froid. Le Roi de la Gelée descend

  1. Caravanes de charrettes