Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/357

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nommée « la sainte ». L’autre, plus âgée, d’une nature robuste, appartient évidemment à une classe inférieure : son visage large et plat manque de finesse et décèle l’entêtement et le fanatisme. Parmi les hommes, il y a un ouvrier aux traits intelligents, un maître d’école au dernier degré de la phtisie et un étudiant en médecine nommé Pavlenkow, israélite de naissance. Ce dernier surtout excite au plus haut point l’indignation du procureur. Quand il parle de Pavlenkow, sa fureur ne connaît plus de bornes ; il lui prête les traits d’un Méphistophélès.

Les autres sont certainement fort dangereux, dit-il ; le devoir de la société est de s’en garantir et de les éloigner ; mais il y a des circonstances atténuantes qui plaident en leur faveur : si leurs théories sont fausses, ils ont au moins le mérite d’y croire sincèrement, tandis que pour Pavlenkow la propagande révolutionnaire n’est qu’un moyen de s’élever au-dessus de sa condition en entraînant les autres dans la boue. La nature lui a donné une intelligence hors ligne, et il s’est servi de ce don précieux pour se précipiter dans l’abîme, lui et ses camarades.

À l’exemple de ses confrères français, le procureur raconte la vie de Pavlenkow depuis sa plus tendre enfance. Il le représente comme un enfant pétri d’amour-propre, ayant grandi auprès de parents pauvres, dénués de principes, incapables par conséquent de développer chez leurs enfants la force morale nécessaire pour lutter contre des instincts vicieux. Un riche négociant juif, frappé de l’intelligence du jeune Samuel, le met à l’école ; l’enfant devient un excellent élève, mais la science est impuissante à éveiller en lui des sentiments élevés. Muni du diplôme de bachelier, il entre à l’école de médecine ; — c’était une chance inespérée pour un pauvre juif, dont les frères et sœurs courent nu-pieds dans les rues de sa ville natale. Mais Pavlenkow, au lieu de garder une reconnaissance éternelle envers Dieu et ses bienfaiteurs, continue à nourrir dans son cœur les sentiments pervers suscités par la misère et les humiliations qu’il a subies dès l’enfance. Ennemi de toute autorité, il emploie son intelligence, son énergie, toutes ses facultés à acquérir de l’influence sur ceux de ses camarades qui appartiennent à des familles respectables, dans l’espoir de les associer un jour à des machinations subversives. Le procureur termine en demandant aux juges d’appliquer à Pavlenkow la loi dans toute sa rigueur. « De pareils criminels ne doivent inspirer aucune pitié ! »

Pendant cette péroraison, je suivais attentivement le visage de l’accusé : très brun, il avait le type israélite fortement accentué. Son extérieur était à un certain point de vue plus intéressant que celui de ses compagnons ; plus âgé et paraissant plus expérimenté, il n’avait rien de naïf ni d’enfantin dans l’expression. Ses yeux frappaient par leur beauté et leur intelligence, mais