Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/461

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pour des mangeurs de feu. Même idée à Mindanao. Les Fidjiens ne pouvaient croire qu’il se trouvât un « pays naturel » produisant des haches assez dures pour couper ces tubes de fusil qu’ils prenaient pour des roseaux. Les Samoa furent stupéfaits de voir leur apparaître les « Fendeurs du Firmament ». Les Maoris attribuaient quatre yeux, deux devant, deux derrière la tête, aux matelots qu’ils avaient vus ramant le dos tourné à l’avant du bateau.

À Fahé, aux Nouvelles-Hébrides, à Aneytium, les visiteurs furent réputés venir du soleil. Quand le bâtiment s’évanouissait à l’horizon, les Hawaïens disaient qu’il remontait dans les airs. Les Maoris le prenaient pour une baleine ailée et les Wallisiens pour un jardin complanté, les mâts pour des cocotiers. Pour les Kroumanes, le navire était une chose divine, incréée. Une chaloupe abandonnée fut par eux mise en un temple.

Cook et Bougainville renouvelèrent le Triomphe de Bacchus dans les Indes. On se prosternait devant le navigateur anglais, on le congratulait en liturgies ainsi que les matelots, mais il n’en chaillait guère aux braves mathurins, tout entiers aux frisques et jolies femmes qui baisaient leurs genoux. Tenu pour le dieu Lono, leur capitaine eut pour sa part la plus belle fille de la reine. Les cheveux blonds et rouges dénotèrent des êtres surnaturels ; les os de bœuf qu’ils rongeaient passèrent pour des tibias de géants immolés, et les tranches de melon pour de sanglantes côtes humaines. Neptune et sa famille furent conduits au sanctuaire national et présentés cérémonieusement aux idoles, tandis que le peuple dansait et chantait. Immolant un porc aux pieds de Cook, le pontife se mettait en devoir de lui en fourrer un large morceau entre les mâchoires… Mais le noble étranger se rebiffa. Sans doute la chair était trop dure ? Et le sacerdot de la mâcher respectueusement, avant de la réoffrir. On servit à l’équipage un festin de Gargantua. Malheureusement les marins buvaient le kawa en immortels, mais ne le portaient qu’en mortels. Vint le désenchantement ; Cook lui-même se montra plus d’une fois colère et brutal envers ses adorateurs, bientôt envahis par une maladie hideuse, inconnue jusqu’alors, et qui récompensait mal leur ferveur.

Les Français firent aussi tout ce qu’il fallait pour que les Malgaches ne se méprissent pas longtemps sur leur compte. Tous ces dieux gaspillèrent à plaisir leur divinité, se montrant moins hommes qu’animaux. Le seul à notre connaissance qui ne désabusa pas trop vite les sauvages fut Cabeça de Vaca, dans son odyssée de la Floride au Mexique. Ayant fait des guérisons considérées comme miraculeuses, il passait pour être descendu du ciel et avoir reçu du soleil le pouvoir de lire dans les cœurs, de donner la vie ou la mort. Les sauvages mettaient à ses pieds ce qu’ils pos-