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UNE NIHILISTE

Suite. — voir le nos XCXVII, XCVIII et IC de la Société nouvelle

X

Deux mois et demi s’écoulèrent sans que Véra donnât signe de vie ; de mon côté je n’eus pas le temps d’aller la voir.

Au mois de mai, j’avais un jour des amis à dîner et nous venions de passer au salon, lorsque la porte s’ouvrit pour laisser entrer Véra. Mais, grand Dieu ! quel changement ! Pendant tout l’hiver elle n’avait eu d’autre vêtement qu’une sorte de fourreau noir, soutane de prêtre comme je l’appelais en riant ; aujourd’hui elle portait une robe bleu pâle, en étoffe légère, à la dernière mode, avec une ceinture circassienne en argent niellé. Ce costume lui allait à ravir et la rajeunissait de plusieurs années. Mais ce n’était pas uniquement sa toilette qui la métamorphosait ainsi ; elle paraissait rayonnante de joie et de triomphe, ses joues étaient roses, ses yeux jetaient des flammes. Jamais elle ne m’avait paru aussi idéalement belle.

La plupart de mes amis la voyaient pour la première fois et son entrée fit sensation. À peine fut-elle assise qu’on faisait cercle autour d’elle.

Auparavant, lorsqu’il lui arrivait de trouver du monde chez moi, Véra se retirait dans un coin et on ne pouvait lui arracher une parole.

Sauvage par nature, elle évitait instinctivement toute nouvelle connaissance qui ne lui semblait pas sympathiser avec son idéal. Mais cette fois elle se trouvait évidemment dans une disposition d’esprit affectueuse et cordiale et avait un mot aimable pour chacun. On aurait dit qu’elle sentait le besoin de faire partager à tous le ravissement dont son cœur débordait. Elle qui détestait les compliments, les accueillait aujourd’hui sans se troubler et même y répondait avec une grâce un peu hautaine pleine de verve et d’à-propos.

Je ne pouvais revenir de mon étonnement. D’où lui venait ce tact mondain,