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4. Avant d’examiner de plus près la notion de nāmarūpa, il faut corriger l’impression que laissent les textes cités ci-dessus, à savoir que le vijñāna est un principe permanent, s’incarnant, émigrant, une âme en un mot.

Cette impression est confirmée par ce qu’on nous dit du manaindriya, organe mental, sensorium commune, du manas, esprit, mens « roi de la ville » (Saṃ., iv, 195), séjournant dans la matière subtile du cœur, distinct du mano-vijñāna, « connaissance mentale » (« ceci est bleu », voir ci-dessous).

Mais à côté de ces conceptions empiriques, que la scolastique creusera à loisir, nous possédons des textes formels : « De même qu’un singe (makkaṭa), prenant ses ébats dans une forêt ou dans un bois, saisit une branche, puis la laisse échapper et en saisit une autre, — ainsi ce qu’on appelle pensée (citta), esprit (manas) ou vijñāna, (intelligence), jour et nuit, autre apparaît, autre disparaît » (Saṃ., ii, 95)[1]. Tout vijñāna, tout moment de vijñāna, nous dirions tout état de conscience, est produit par des causes concurrentes (Majjh., i, 257). — Une scolastique savante donnera au vijñāna, principe vital et intellectuel, son vrai nom : vijñānasrotas, « courant d’actes de pensée », et établira que chacun de ces actes a pour causes, 1. l’objet (couleur), 2. l’organe (œil), 3. un élément intellectuel, à savoir, non pas un « noumène », une substance, mais l’acte de pensée qui précède immédiatement. (Muséon, 1901, p. 194). — Le vijñāna est considéré comme un aliment (Saṃ., ii, p. 13) : c’est-à-dire que l’esprit se nourrit de ses opérations, qu’il n’est qu’un processus de vijñānas. S’il cessait de s’alimenter (Nettipakaraṇa, p. 16) ce serait le nirvāṇa ; il s’alimente : d’où la vie et la renaissance.

Du même principe, il suit que « renaissance » n’est pas « trans-

    « mind-organ » ; ou encore, lorsqu’on considère vijñāna comme skandha, vijñāna = saṇṇāṃ vijñānakāyānāṃ saṃtatiḥ, la série des six groupes de connaissances (particulières) ; voir Madhyamakavṛtti, p. 60.

  1. Dans Dhammapada, v. 334 = SBE, X, p. 81, Therag. 1111 (comparer JPTS. 1884, p. 104), c’est bien le vijñāna ou la pensée (citta) qui court comme un singe, sous l’action de la soif qui trouve son plaisir çà et là. Comparez les symboles des fresques d’Ajantā et des peintures tibétaines, ci-dessous § III, 2.