Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 155 —

le contemplant froidement et avec je ne sais quel insultant dédain, Aucun cri d’enthousiasme où seulement de satisfaction ne fut proféré ; et même, chose étrange ! — parmi ces cent mille têtes au moins, qui fourmillaient là, sous lui, je n’en vis pas une seule se découvrir au salut d’un Roi ! Tu conçois quel devait être mon étonnement ? — Aussi, avisant un de mes voisins que ce spectacle semblait préoccuper profondément, je me tournai vers lui et je lui demandai comment il se faisait que les Français témoignassent si peu d’attachement et de respect pour leur Prince. Il releva lentement la tête, et d’une voix émue : Oh ! — me dit-il,


Philosophie, au bas du peuple descendue !
Des petits sur les grands grave et hautain regard !
Où ce peuple est venu le peuple arrive tard ;
Mais il est arrivé, Le voilà qui dédaigne !
Il n’est rien qu’il admire, ou qu’il aime, ou qu’il craigne.
Il sait tirer de tout d’austères jugements,
Tant le marteau de fer des grands événements
A, dans ces durs cervaux qu’il façonnait sans cesse,
Comme un coin dans le chêne enfoncé la sagesse !

Il s’est dit tant de fois : — Où le monde en est-il ?
Que font les rois ? à qui le trône ? à qui l’exil ?
Qu’il médite aujourd’hui comme un juge suprême ;
Sachant la fin de tout, se croyant en soi-même
Assez fort pour tout voir et pour tout épargner ;
Lui qu’on n’exile pas et qui laisse régner !


Surpris de cette réponse, je voulus examiner plus attentivement celui qui venait de me la faire, mais il avait déjà disparu, sans doute à cause de l’attention qu’il venait d’éveiller autour de lui. — Savez-vous à qui vous avez parlé ? me dit en me frappant sur l’épaule un jeune homme qui se trouvait derrière moi ?… Eh bien ! c’est au premier poète de notre France !… — Que penses-tu de cette singulière rencontre, Ki-Aou ? N’avais-je pas raison de te dire que j’étais favorisé de mon bon génie ?…