Le seul Diderot résistait quelquefois à l’épicurisme, parlait morale au milieu des ris et des bons mots, et se refusait en vrai philosophe aux voluptés sensuelles du banquet.
Lafleur, criait d’Holbach, apportez un verre au philosophe car je vais consulter mon encyclopédie. Et les convives d’applaudir, et le vin de remplir tous les verres, même je crois celui de Diderot ; car il fallait bien se rendre aux désirs du baron, il fallait bien s’avouer vaincu, surtout quand la malicieuse figure du seigneur de Ferney apparaissant tout-à-coup riante et spirituelle au milieu du banquet philosophique, fixait celle de Diderot et semblait lui dire : Laisse-toi donc aller, philosophe, la sagesse est peut-être au fond du verre, et si elle n’y est pas, à coup-sûr le plaisir s’y trouve.
Long-temps les soirées philosophiques s’écoulèrent sans orage : le temps passait vite au milieu de ces bons mots, de ces spirituelles réparties, car alors les philosophes avaient de l’esprit, de ces réflexions toujours hardies, parfois profondes, plus souvent indécentes, qui, surgissant bruyantes et tumultueuses, pleines de nerf et d’à-propos, allaient exciter l’humeur spirituelle des convives et réveiller chez le dernier d’entre eux ce petit grain d’ambition, comme dit La Fontaine, que nous nommons, je crois, amour-propre et que les philosophes connaissent si bien ; puis l’on médisait du prochain, et qui n’en médit pas ? On plaisantait Frédéric et sa cour, mais doucement comme il convient entre philosophes, et Voltaire de s’écrier : Il s’ennuie là-bas à Berlin, notre royal ami, et voudrait bien, je vous jure, prendre place au petit banquet ; la triste chose qu’une couronne ! Ah ! si jamais j’en souhaitais une, je la voudrais bien légère, comme il la faut pour le front d’un mourant !
On avait parlé des rois, c’était à Montesquieu de les faire mieux connaître ; son tour était venu et le philosophe législateur ne le laissait pas passer. Il leur développait en se jouant