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n’étaient partout que louanges sur le compte de la jeune française. Les uns vantaient la couleur brune de ma peau ; les autres, la délicatesse de ma taille ; ceux-ci, la fraîcheur de mon visage ; ceux-là, ma bouche gracieuse et mignonne ; mais ce qui chez moi réunissait tous les suffrages, c’étaient les yeux : jamais, dit-on, rien d’aussi beau n’avait paru sous le soleil, Tous ces discours faisaient sécher les autres puces de jalousie, mais ils faisaient plaisir aux jeunes pucerons, qui s’efforçaient ainsi à l’envi de me faire leur cour. — J’en remarquai un parmi ces derniers, qui me parut plus timide et moins empressé que les autres, mais dont les regards indiquaient plus d’amour profond et de véritable tendresse.

Il se tenait ordinairément à l’écart, considérant avec tristesse les petits soins dont ses amis m’entouraient, et n’y prenant jamais part, vu que, comme il me le dit par la suite, il ne savait qu’aimer. — J’ignore si dans l’espèce humaine une femme peut être indifférente envers l’homme dont elle se sent adorée ; tout ce que je sais, c’est que cela n’est pas possible à une puce : aussi, l’amour de mon jeune autrichien ne tarda pas à être payé de retour ; toutefois nos relations ne furent que très-insignifiantes ; s’il comprit qu’il était aimé, mes regards seuls le lui découvrirent,

Sur ces entrefaites, un malheur qui n’a pas de nom vint jeter le désespoir dans mon cœur et troubler les idées de félicité dont je me nourrissais alors. — Depuis ma naissance, la santé de ma mère avait toujours été très-fragile. Une maladie de langueur l’avait minée sourdement, et l’heure arriva, bien top tôt, hélas ! où elle ne put plus en supporter les atteintes. Sentant sa fin approcher, elle me fit venir près d’elle, m’embrassa avec amour, et me parla ainsi, d’une voix faible et entrecoupée :

— Voici venir l’heure, ô ma fille bien-aimée, où je dois payer à la nature le tribut de mon existence. Je vois ce moment