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qu’un jour Dubois, le cardinal, parcourant ces tristes fatras, et, riant j’imagine, laissât tomber ces mots : Rêveries d’un bon citoyen.

Dubois, juge de l’abbé de Saint-Pierre ! La folie en mître et en robe rouge, devenue l’arbitre de notre vieille sagesse humaine ! Plaisant contraste sans doute ; mais le monde est ainsi fait ; le sage doute et propose, et les fous décident, disait, il y a quelque mille ans, le scythe Anacharsis ; et je ne sache pas que depuis les fous aient jamais renoncé à leur bel apanage. Maintes fois pourtant, l’on voit aussi surgir çà et là quelques rares et pauvres philosophes qui, en dépit du vulgaire, jugent et condamnent à leur guise. Les fous s’écrient ; les philosophes se fâchent quelquefois ; quel est le plus sage ?… Dieu le sait ! mais mieux vaut rire ce me semble, non pas comme l’abbé de Saint-Pierre, qui fut toujours triste et chagrin ; mais comme son savetier, qui philosophait, chantait et riait toujours.

Un savetier philosophe ! et pourquoi pas ? Que faut-il donc tant pour faire un philosophe ? Du bon sens peut-être, de l’indépendance ? Un savetier en manqua-t-il jamais ! Dans son échoppe, le nôtre besognait tranquille et sans soucis ; et quand passaient devant lui gens de cour et d’église, petits maîtres, avocats, laquais, valets ou pages ; quand la foule s’ouvrait pour un carrosse de duc ou de marquis ; que les têtes s’inclinaient devant l’habit brodé d’or d’un manant de la ville, le bonhomme disait : Hier, il passait à petit bruit ; aujourd’hui c’est son tour, il éclabousse les passans. Puis il riait, de son rire de savetier franc et jovial, et fredonnait à demi-voix une malicieuse chanson, que Sedaine devina plus tard dans la charmante épître à son habit. Que vous dirai-je ? Il chansonnait sur tout, même un peu sur lui-même ; il songeait


Car que faire en un gîte à moins que l’on n’y songe ?