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en vos mensonges, ne m’ait alors oublié ? Dites s’il n’est pas vrai qu’à cette heure Ninetta n’attende le prix de mon forfait pour vivre ? Car c’est vous qui me chassez du théâtre où vos favoris m’enlèvent le prix de mes veilles ; c’est vous qui m’avez enlevé frère Ambroise, et sans vous je n’aurais pas vendu mon honneur pour l’existence de ma mère. Allons, savez-vous pourquoi je vous déteste maintenant ?

— Vous avez oublié un grief et le plus puissant ; ce ne sont ni les larmes de votre mère, ni les reproches du supérieur qui vous animent. Vous voulez mon sang, parce que Cécilia est princesse de Tarente.

— Tu l’as dit, démon, tu l’as deviné, tu comprends alors ; qu’il faut que l’an de nous meure ; allons, l’épée à la main.

Une minute après, Giovanni était sans armes.

— Je suis à ta merci, Stigliano, cria l’orphelin avec rage, je suis un meurtrier, frappe.

— Je n’ai point reçu d’or pour vous assassiner.

— Infamie ! Tes reproches sont plus sanglants que la mort ; si tu as quelque pitié, débarrasse-moi de la vie ; ne crois pas que ta générosité me touche, elle m’irrite. Si tu étais en ma puissance, désarmé comme je suis…

Giovanni écumait.

Le prince jeta son épée au loin. Eh bien ! satisfaites-vous ; lui dit-il.

L’orphelin courut comme un insensé s’emparer du fer et se précipita sur son ennemi ; mais à l’aspect grave et imposant du prince, en voyant ce front élevé que mulle crainte ne troublait, ce maintien calme et sans colère, l’artiste recula, sa main tremblait ; il crut apercevoir une ombre qui l’éloignait de cet homme solennel qui s’était livré à sa merci.