Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 334 —

jusqu’alors, auquel elle s’abandonne tout entière ; puis à ce trouble plein d’attraits succède une douce rêverie qui fait voltiger devant elle des formes aériennes, vers lesquelles elle se sent entraînée par un penchant irrésistible dont elle n’essaie même pas de se rendre compte ; et si, par hasard, le cri perçant de l’orfraie, que le bruit de ses pas a fait envoler, vient rompre le charme, elle tressaille d’émotion, et se demande si elle est bien éveillée, où elle était, et ce qu’elle faisait là.

C’est ordinairement de seize à dix-huit ans que cet état se manifeste chez l’homme. Alors à toute jeune fille, à tout jeune homme qu’il rencontre sur le seuil de la vie, il offre son cœur, son existence tout entière, à l’un, pour un peu d’amitié ; à l’autre, il demande quelque chose de plus : c’est le premier cri des passions, qui commencent à gronder dans le lointain. À cette époque, l’événement le plus simple, qui passe le plus inaperçu, peut décider de toute une existence future, peut marquer toute une destinée d’une auréole de bonheur ou d’un crêpe de deuil.

Arthur Léry était arrivé à cet âge, où l’amour surabonde dans le cœur d’un jeune homme, qui se sent un besoin indéfini de l’épancher sur tout ce qu’il rencontre. Aîné d’une famille honorable, mais nombreuse, et peu riche, il avait été lancé, au sortir du collége, dans une carrière toute positive, qui ne pouvait convenir à son caractère un peu romanesque. Son père l’avait prié avec instance d’essayer cette partie, qui lui promettait pour son fils quelques chances de fortune. Par affection pour son père, Arthur avait surmonté son dégoût.

Relégué au fond de la Basse-Bretagne, il avait été chargé,