Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 42 —

Mais le duc, en voyant le prince apporter dans les conseils du roi une sagesse profonde et un désintéressement continuel, en le voyant même rendre justice à ses rivaux, sentit ses premières convictions ébranlées. Des indiscrétions échappées à l’un des serviteurs du grand-écuyer, apprirent au duc les bonnes œuvres pratiquées par celui-ci à l’ombre de la modestie et de l’incognito. Sa charité soutenait l’indigence ; partout où il découvrait une infortune, il apparaissait comme un bon génie, pour la calmer. Le duc se passionna alors pour le prince, et voulant réparer ce qu’il appelait ses torts, il se rendit un soir chez lui. Les domestiques de Stigliano furent étonnés en voyant Manfredonnia. L’un d’eux dit qu’il allait aller avertir son altesse.

— Laissez, laissez, reprit vivement le duc.

Et, se précipitant vers la chambre à coucher du prince, il aperçut ce dernier à genoux et dans l’attitude de la méditation.

— Je trouble votre prière ; un zèle indiscret m’a fait violer le sanctuaire où vous vous reposez en Dieu.

Stigliano. parut troublé à cette visite inattendue ; sa figure n’avait plus cette expression froide et décevante qui la faisait redouter. Le duc, profitant de cette circonstance, fit un aveu sincère de ce qui le conduisait en ces lieux. La gêne disparut alors et après une conversation où le grand-écuyer exprima sa manière de considérer la vie, les deux amis se séparèrent.

Leur intimité étonna : on disait, en les voyant unis, que saint Michel et Satan s’étaient réconciliés ; d’autres, plus charitables, dirent encore : C’est que saint Jean veut faire Belzébuth ermite.

Les deux amis souriaient aux mystérieuses paroles que l’on échangeait en leur présence, et leur union s’augmenta avec les années. C’est à cette époque que le duc de Manfredonnia, retenu à Cassoria, écrivit au prince :

« Sollicitez un congé, venez vivre avec nous de cette vie intime qui nous est si chère. Cassoria est simple et sauvage comme les montagnes qui l’entourent ».