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Si l’on veut juger Sheridan et le théâtre anglais tout ensemble, c’est donc dans le Critique qu’il faut les étudier l’un et l’autre. Là, nulle considération politique n’entravait l’essor d’un admirable esprit, et cette même facilité à l’épanchement servait à la saine critique des œuvres dramatiques et des traditions théâtrales qui pervertissaient l’art. Dire avec quelle verve, avec quel tourbillon d’ironie toujours nouvelles cette comédie met à nu la sécheresse, la longueur, l’invraisemblance inouïe de l’exposition scénique ; faire sentir l’incohérence, le ridicule de ces entrées et de ces sorties incompréhensibles ; enfin, tous ces graves indices d’une décadence, ou plutôt d’un anéantissement total de l’art dramatique : style vide et emphatique, action languissante, dénoûment exagéré et toujours nul, — nous serait chose impossible. Il nous faudrait analyser scène par scène, cette œuvre caustique pleine de gaîté, copie et satire, selon les commentateurs, des tragédies de Cumberland, chef de l’école correcte de l’époque, et que nous rappelle M. Casimir Delavigne, ce premier de nos poètes corrects, si toutefois il n’est pas le seul à l’être. — Il nous faudrait aussi décrire intellectuellement M. Puff, un de ces indulgents feuilletonistes qui, à raison de certaines compensations, — et peut-être forcés par la nécessité d’exercer une industrie qui tient de si près à l’invention, — se chargent de créer les succès ou les chutes. Nous ne nous arrêterons cependant pas sur ce caractère naturalisé français par la plume de M. Scribe, et qui n’est plus qu’une méprisable banalité dans notre journalisme. — On peut juger, même dans la traduction, de l’excellence de ses spirituelles satires ; et pourtant il est bien rare et bien difficile que notre langue s’approprie le génie d’une langue étrangère ; mais aussi, quelle verve entraînante, quel style précis et clair, quel esprit charmant ! — L’esprit ! N’est-il pas étrange et triste à la fois que ce soit là l’obstacle brillant que n’a pas su franchir le génie de Sheridan, et qui a privé l’Angleterre d’un réformateur de la scène comique ?…