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LE CAVALIER MISEREY.

brigand de la Loire, irrité par l’inutilité de sa vieillesse et par le souvenir de sa gloire. Pourtant, il y a dans ces pages si graves et si tristes des hardiesses intellectuelles auxquelles M. Abel Hermant ne s’est point haussé. On y trouve des reproches à l’armée, et un idéal souvent révolutionnaire, parfois chimérique. L’auteur y déplore l’obéissance passive du soldat et l’asservissement des volontés à la règle, dont il ne reconnaît pas assez l’impérieuse nécessité ; mais rien d’amer ni de vil ne se mêle à sa plainte. Jamais il ne cesse d’honorer ceux qu’il plaint. Il peut tout dire, parce qu’il garde dans tout ce qu’il dit l’amour des hommes et le respect des vertus ainsi que des souffrances. Dès le début, il montre la gravité paisible de son cœur et une noblesse d’âme qui semble aujourd’hui perdue. « Je ferai peu le guerrier, dit-il, ayant peu vu la guerre ; mais j’ai droit de parler des mâles coutumes de l’armée, où les fatigues et les ennuis ne me furent point épargnés, et qui trempèrent mon âme dans une patience à toute épreuve en lui faisant rejeter ses forces dans le recueillement solitaire et l’étude. » Ensuite il montre l’armée à la fois esclave et reine, et il la salue deux fois, dans sa misère et dans sa gloire. Il voudrait qu’elle pensât davantage. Je crois qu’il a tort et que l’armée ne doit pas penser, puisqu’elle ne doit pas vouloir. Mais avec quelle délicatesse il parle de l’esprit un peu paresseux et attardé de cette armée, telle qu’il l’avait connue ! « C’est, dit-il, un corps séparé du grand corps de la nation, et qui